L'INFO. L'enquête administrative a parlé : de l'argent en liquide a bien circulé au ministère de l'Intérieur après 2002 et leur abolition théorique. Entre 2002 et 2004, le cabinet du ministre, alors Nicolas Sarkozy, dirigé par Claude Guéant, aurait ainsi touché 10.000 euros par mois de primes, extraites "des frais d'enquête et de surveillance". Si cette enquête, diligentée par Manuel Valls en mai, pointe donc des pratiques illicites au sein du ministère, elle confirme également la version de Claude Guéant sur les soupçons d'un éventuel financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007. L'ex-ministre de l'Intérieur de 2011 à 2012, avait invoqué cette pratique pour justifier le règlement de factures en liquide découvertes lors d'une perquisition à son domicile.
Des factures réglées en liquides. Dans cette affaire, tout commence par une perquisition menée en février au domicile de Claude Guéant. Quelques mois plus tard, début mai, le Canard Enchainé révèle le résultat de ces investigations. Sur un compte de l'ancien ministre de l'Intérieur, les enquêteurs ont d'abord retrouvé la trace d'un versement de plus de 500.000 euros, effectué depuis l'étranger, et datant de 2008. Explication de Claude Guéant à ces révélations : cette somme est relative à la vente de deux toiles de maître à "un confrère étranger". Une transaction dont il assure posséder "tous les justificatifs", au micro d'Europe 1. D'autre part, les policiers trouvent également traces de "nombreux et conséquents paiements de factures en liquide". L'ex-pensionnaire de la place Beauvau assure qu'il s'agit d'achats d'appareils ménagers pour un montant compris entre 20 et 25.000 euros, acquis, explique-t-il, grâce à un pécule constitué avec des primes de cabinet en espèce touchées "jusqu'en 2006". Problème : cette version est mise à mal dès le lendemain.
Une pratique abolie puis rétablie ? "Je suis catégorique, le système des primes en espèce a cessé fin 2001, début 2002", avait alors assuré, au micro d'Europe 1, Daniel Vaillant, ministre de l'Intérieur sous Lionel Jospin jusqu'en 2002. En l'état, le gouvernement Jospin a supprimé ces primes en liquide dès le 1er janvier 2002, après le scandale des fonds secrets. L'actuel maire du 18e arrondissement de Paris s'était alors interrogé sur la possibilité que cette pratique ait pu être rétablie par la suite, sous le second mandat de Jacques Chirac.
"Soit c'est un menteur, soit c'est un voleur". Une possibilité récusée dans la foulée par Roselyne Bachelot qui, offusquée, avait déclaré à propos de la défense Claude Guéant : "soit c'est un menteur, soit c'est un voleur". L'ancienne ministre de l'Environnement, sous le même gouvernement Chirac jusqu'en 2004, avait assuré qu'il était "absolument impossible d'avoir touché des primes de cabinet à partir de 2002". Claude Guéant avait alors argué que ce système avait bien perduré place Beauvau, avant d'être totalement aboli en 2006. C'est donc pour faire toute la lumière sur ces agissements éventuels que Manuel Valls, sur demande de Matignon, a diligenté cette enquête administrative.
Que révèle l'enquête ? Claude Guéant n'est pas un menteur : une partie des frais d'enquêtes inhérents aux missions spécifiques du ministère a bien été utilisée comme primes de cabinet. Cette pratique a donc bien été rétablie de mai 2002 à l'été 2004 au sein de la place Beauvau. Le montant de ces primes ? 10.000 euros mensuels, remis au directeur de cabinet du ministre de l'Intérieur, soit Claude Guéant. Selon les informations recueillies par Europe 1 auprès son entourage, cette somme était destinée à tout le cabinet, même si on reconnaît que Claude Guéant en a bénéficié "partiellement". L'enquête révèle donc une pratique illicite et l'opacité des frais de Police. Sous entendant que des abus existent encore, les deux services réclament désormais un "recadrage rapide" pour que ces frais ne financent uniquement les opérations d'investigations.
Valls transmet à la justice. En attendant, Manuel Valls a d'ores et déjà annoncé lundi qu'il transmettait le rapport d'enquête au procureur de la République de Paris. "Sans remettre en cause l'utilité de ces fonds qui sont indispensables aux activités d'investigation", écrit aussi l'Intérieur dans son communiqué, M. Valls "retient la nécessité de mettre un terme à certaines pratiques indemnitaires". Il demande en conséquence que la direction générale de la police nationale (DGPN) traduise "dans les faits" les préconisations du rapport des inspections qui recommandent "d'encadrer, de tracer et d'actualiser" ces fonds de police.
"Ainsi, écrit encore la place Beauvau, l'usage des frais d'enquête et de surveillance sera strictement limité aux seuls besoins opérationnels" et les "gratifications versées aux fonctionnaires de police" le seront "à partir des crédits prévus à cet effet".