Europe1.fr fait le point sur le sort de ce site qui ravive les tensions entre libertaires et policiers.
Coptwatch est de retour. Et ce n’est pas du goût des forces de l'ordre et du premier flic de France, le ministre de l’Intérieur. Claude Guéant a donc redemandé dimanche la fermeture du premier site de "surveillance" des policiers en France.
Bloqué en octobre 2011 après un référé du ministre de l’Intérieur, le site a été réactivé mardi dernier, à partir d'une nouvelle adresse. Dans la foulée, Claude Guéant a annoncé l’ouverture de poursuites judicaires contre ce groupe "inacceptable" qui "incite à la haine à l'égard des policiers".
Quelles sont les revendications des fondateurs du site ? Copwatch risque-t-il d’être fermé à nouveau ? Comment réagissent les syndicats de policiers ? Europe1.fr fait le point sur ce site qui ravive les tensions entre groupes libertaires et syndicats de policiers.
Un site d’information alternatif
Le "copwatching", littéralement "surveillance de flics", est une pratique lancée aux États-Unis par le mouvement des Black Panthers, dans les années 60. L’arrivée du Web dans les années 90 a donné un nouveau souffle à ce mouvement qui reste bien implanté outre-Atlantique.
Le copwatching repose sur un principe de transparence des pratiques policières. "C’est une démarche citoyenne qui consiste à filmer une action policière et à la rendre publique pour soulever d’éventuelles dérives", reconnaît Denis Jacob, secrétaire administratif du syndicat de police Alliance, interrogé par Europe1.fr.
Se décrivant comme un "site d’information alternatif", le site français repose sur le même modèle que le "copwatching" développé outre-Atlantique. En résumé, Copwatch Nord-Ile-de-France présente un trombinoscope de policiers photographiés en intervention, avec des commentaires sur leurs pratiques. L’une des photos publiées indique par exemple "vigilance envers les flics en civils à Barbès". L’image montre plusieurs fonctionnaires procédant à une fouille dans la rue.
"Nous ne diffusons aucune photo dont nous ne sommes pas certain de la fiabilité. Dans une ville comme Lille, par exemple, nous faisons ça depuis plusieurs années. Nous sommes allés filmer sur le terrain, avons fait des filatures à la sortie des commissariats et épluché les procès-verbaux des “copains” passés en garde-à-vue", commentait Paul, un des fondateurs du groupe interrogé en septembre dernier par Owni.
Un site bloqué à plusieurs reprises
La démarche n’est pas du goût du ministère de l’Intérieur. En 2010, alors que le site s’appelait Paris.indymedia, les auteurs avaient retiré les photos litigieuses et les commentaires diffamatoires, à la demande de Brice Hortefeux, qui occupait à l’époque la place Beauveau.
Un an plus tard, le site a récidivé en créant Copwatch Nord-Ile-de-France. Un message prévenait : "Policiers, nous vous identifierons tous un à un. Que votre impunité trouve une fin". A l’époque, 450 policiers avaient été identifiés par Copwatch. Une dizaine d’entre eux avaient décidé de porter plainte.
Saisi en octobre, le tribunal de Paris avait ordonné le blocage complet du site. "Le tribunal a estimé que le ton employé, les mots utilisés sur le site constituaient un trouble pour les policiers d’autant plus que certaines données personnelles étaient révélées. Le site a donc été jugé illicite en raison des propos diffamatoires et injurieux utilisés pour qualifier les policiers", résume Me Eolas contacté par Europe1.fr.
"Nous ne luttons pas contre les flics"
L’affaire semblait close, c’était sans compter la détermination des fondateurs de Copwatch. Le 24 janvier dernier, le groupe composé d’anonymes a publié un communiqué dans lequel il annonçait son retour. "Dorénavant, lorsque l'Etat osera censurer ce site, tel un phœnix il renaîtra. Les référés n'en feront rien. (...) Le ministère de l'Intérieur français a voulu nous interdire. Il a échoué. Aujourd'hui, c'est à nous de lui rendre la donne", assurent les auteurs de Copwatch Nord Ile-de-France.
Ce retour de Copwatch a suscité l’agacement des syndicats de police. Yannick Danio, délégué national du syndicat Unité Police, estime sur Europe1.fr que ce site porte atteinte à la vie privée des fonctionnaires. "Nous sommes victimes d’un système de communication et de manipulation. Ce site porte atteinte aux policiers, à notre métier difficile. Nous sommes de plus en plus exposés", témoigne le syndicaliste.
Si les fondateurs du site reconnaissent dévoiler l’identité des policiers ils assurent que c’est pour s’attaquer à une cause plus large. "Nous ne luttons pas contre les flics, mais contre l'institution qu'ils incarnent. Les flics ne sont que les exécutants, ceux qu'on paie pour accomplir les basses œuvres. Et ils le font très bien", commentent par mail les fondateurs du site contactés récemment par Les Inrocks.
Les fournisseurs d’accès alertés
Mais pour Yannick Danio, la police est l’une des instances les plus surveillées en France. Même son de cloche du côté de Denis Jacob, du syndicat de police Alliance. "Près de sept institutions sont chargées de surveiller la police. Nous avons même une instance en interne chargée de contrôler la pratique des fonctionnaires", commente le syndicaliste.
"Nous ne sommes pas à l’abri de personnes qui commettent des actes répréhensibles, mais il y a la justice pour condamner tout débordement. Les fondateurs de Coptwatch préfèrent se cacher derrière leur anonymat plutôt que d’engager des poursuites en justice", accuse ainsi Denis Jacob.
A l’instar de Claude Guéant, le syndicat Alliance a décidé d’engager des poursuites judiciaires contre le site. De son côté, le porte-parole de la place Beauveau, Pierre-Henry Brandet, a dit avoir "pris contact avec les fournisseurs d'accès pour voir comment, sur la base de la décision rendue par la justice en octobre, nous pouvions faire bloquer l'accès à cette nouvelle adresse".
5 ans de prison encourue
Contacté par Europe1.fr, Me Eolas explique que cette nouvelle action en justice devrait avoir les mêmes effets que celle prononcée en octobre dernier. "Le jugement prononcé en octobre dernier devrait faire jurisprudence".
Les fondateurs du site risquent jusqu’à 5 ans de prison et 300.000 euros d’amende pour "diffusion, sans autorisation préalable, de fichiers personnels". Me Eolas précise toutefois que l’identité des fonctionnaires de police n’est pas tenue au secret. "Il n’est pas illicite de prendre en photo des policiers dans l’exercice de leur fonction. La loi ne leur donne aucune protection sur leur identité tant qu’il n’y a pas d’atteinte à la vie privée", précise l’avocat.
Les fondateurs du site se défendent d’ailleurs de toute atteinte à la vie privée et assurent que certaines photos ont été prises sur les pages Facebook des policiers. Depuis 2010, plusieurs tracts ont d’ailleurs été distribués aux fonctionnaires pour les inviter à plus de dicrétion sur les réseaux sociaux. Le représentant Denis Jacob regrette que ces directives ne soient pas davantage respectées.