L’histoire qu’a vécue Saber Lahmar fait froid dans le dos. Arrêté en Bosnie peu après les attentats du 11-Septembre, cet Algérien a passé huit ans de sa vie à Guantanamo, la prison américaine, sur la base d’un seul témoignage anonyme. Les câbles diplomatiques révélés par WikiLeaks sur les anciens détenus de Guantanamo lui ont permis d’apprendre que son dossier était épais de 557 pages. "Mais le juge a estimé qu’il était vide", explique-t-il aujourd’hui dans les colonnes de Sud Ouest et de Bordeaux où il a élu domicile depuis sa libération en 2009.
L'histoire de Saber Lahmar commence à Sarajevo. En 2001, il habite depuis cinq ans dans la capitale bosnienne et enseigne l’arabe dans un centre islamique privé. Les attentats du 11-Septembre vont précipiter sa chute. Arrêté et emprisonné par la police bosnienne, Saber Lahmar sera rapidement libéré. Tout de suite après, il est interpellé par les militaires américains. Cet homme, qui menait une "vie rangée" avec "une femme bosniaque dont [il a] eu un garçon, Moad, qui a 12 ans aujourd’hui, et une fille, Sara, 10 ans, [qu’il n’a] jamais vue", passe du rêve au cauchemar. Direction Guantanamo.
"Ils m’ont torturé à l’électricité"
Vivre est un grand mot pour décrire les conditions de détentions de la plus célèbre geôle américaine. " À l'arrivée, on m'a enfermé dans une cellule de 2 mètres sur 1,5, éclairée en permanence par trois lampes", raconte-t-il. "En cellule, ils nous empêchaient de dormir et cherchaient à nous rendre fous par un vacarme assourdissant, des bruits d'aspirateurs, de la musique à fond, des hurlements porno. Le bruit ne s'arrêtait que lors des visites d'envoyés de la Croix-Rouge. C'était très dur", confie Saber Lahmar au quotidien Sud Ouest.
Mais l’homme, âgé de 32 ans à l’époque, ne peut pas lutter. "Il n'y avait rien à faire. Si vous demandiez de quoi lire, le gardien vous répondait : 'Vous n'êtes pas au Sheraton' (une célèbre chaîne hôtelière NDLR). Se suicider était impossible." A l’époque de son incarcération, Saber Lahmar ne se doute pas qu’il va rester enfermer huit ans à Guantanamo. "La cellule métallique était nue. Ni lit ni robinet, rien. Pendant ces huit ans, j'ai passé vingt-sept mois sans sortir. Ma peau était devenue d'une blancheur cadavérique. On nous donnait à manger du riz blanc presque cru, une pomme. On restait des jours entiers les coudes sur les genoux et la tête droite, sans bouger".
L’Algérien a aussi été victime de torture. "Ils m'ont torturé à l'électricité, plongé comme dans un puits pour simuler la noyade, fait asseoir des heures sur une petite chaise en fer sans dossier". Le but ? Le faire parler. "Ils me disaient que j’étais là pour donner des informations" mais "ils n’avaient pas l’air de bien savoir ce qu’ils cherchaient". La fin du cauchemar intervient en décembre 2009. Exfiltré en France, il tente désormais de se reconstruire à Bordeaux, sans n’avoir plus de nouvelle de sa famille. Il sait juste, que sa femme "qui a subi beaucoup de pressions, a demandé le divorce."