L'info. C'est une demande inhabituelle que va examiner mercredi la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai : quatre des quatorze mis en examen dans l'affaire de proxénétisme dite du Carlton de Lille demandent à être jugés par une cour d'assises et non par un tribunal correctionnel. Leurs avocats estiment que "le peuple" doit trancher dans ce dossier.
Un renvoi contesté. Fin juillet, les juges d'instruction avaient rendu leur ordonnance renvoyant quatorze personnes, dont Dominique Strauss-Kahn, devant un tribunal correctionnel pour répondre de "proxénétisme aggravé en réunion". Dès cette annonce, cinq mis en cause - Dominique Alderweireld, alias "Dodo la Saumure", un tenancier français de salons de massage en Belgique, sa compagne Béatrice Legrain, René Kojfer, l'ancien chargé des relations publiques du Carlton, David Roquet, ex-directeur d'une filiale du groupe de BTP Eiffage, et Emmanuel Riglaire, un avocat du barreau lillois - avaient décidé de faire appel. (Me Riglaire a depuis décidé de se désister de ce recours, ndlr)
Que dit la loi ? L'appel d'une ordonnance de renvoi est prévu par l'article 186-3 du Code de procédure pénale. Ainsi, une personne mise en examen qui estime que les faits pour lesquels elle est renvoyée constituent un crime qui aurait dû faire l'objet d'une mise en accusation peut demander à être jugée par une cour d'assises. Dans les faits, cette démarche est rarissime puisque la peine encourue aux assises est plus lourde qu'en correctionnelle.
L'enquête instrumentalisée ? Les quatre mis en examen qui font appel veulent en fait dénoncer la "criminalisation" de l'enquête. Le dossier d'instruction avait en effet été ouvert pour des faits criminels, "le proxénétisme en bande organisé", avant que les juges abandonnent la qualification de "bande organisée" pour le "proxénétisme aggravé", jugé en correctionnelle. Un procédé qui n'a pas plu à Me Hubert Delarue, avocat de René Kojfer : "certains [juges] en abusent, car le criminel est plus confortable pour eux, en matière de garde à vue, de mandat de dépôt, d'expertise, etc. Là, quand tout est fini, alors qu'on nous a seriné pendant dix-huit mois que les faits étaient criminels, on transforme la 'bande organisée' en 'association de malfaiteurs' et hop, passez muscades, direction le tribunal", dénonçait-il dans les colonnes du Figaro.
Même son de cloche pour Me Karl Vandamme, l’avocat de Fabrice Paszkowski. Selon lui, "les juges ont utilisé des chefs de prévention criminels pour bénéficier de droits d’enquête plus importants comme les 96 heures de garde à vue, dont 24 sans avocat, ou les écoutes, en sachant que ça ne tenait pas", expliquait-il à Libération.
Des jurés plus compréhensifs ? "Il n'y a pas un Français qui envisage que l'on puisse poursuivre un homme pour un crime au motif qu'il a à plusieurs reprises couché avec des prostituées", estimait pour sa part Me Eric Dupond-Moretti, conseil de David Roquet, sur France Inter. L'objectif est donc simple : tenter de se faire juger par un jury populaire, plutôt que par des magistrats professionnels, moins enclins à la clémence.
Quelle chance d'obtenir gain de cause ? L'avocat de René Kojfer lui-même reconnait que ce recours a peu de chances d'aboutir. "La limite de notre action [est que] seule une partie des personnes renvoyées ont fait appel, certains ayant considéré qu'il valait mieux aller en correctionnelle", dont l'ancien patron du FMI Dominique Strauss-Kahn, a estimé Me Hubert Delarue. Me Eric Dupond-Moretti quant à lui "n'(attend) rien de l'audience", la chambre de l'instruction n'ayant "accédé à aucune demande qui lui a été présentée jusqu'à maintenant".