"J’ai cliqué sur une vidéo, puis sur une autre, puis une autre, et j’ai continué". Comme beaucoup d'adeptes de l'ASMR, c'est par hasard que Siemon a découvert le phénomène. Ce jeune Belge est attiré par quelque chose d'inhabituel : la personne qui commente le jeu vidéo qu'il regarde chuchote. Et la vidéo est estampillée "ASMR". Après une recherche sur YouTube, il découvre tout un univers fait de chuchotements, de tapotements de claviers et de froissements de papier. Bienvenue dans la communauté des adeptes de l'ASMR ("autonomous sensory meridian response", en anglais et "réponse autonome sensorielle méridienne", en français).
Cette appellation triviale définit une pratique de relaxation qui permet, pour ceux qui y sont sensibles, d'atteindre une forme "d'orgasme-sensoriel-cérébral". Pour ce faire, il leur suffit d'écouter des sons particuliers, notamment des murmures. Et ce phénomène est depuis plusieurs années massivement repris sur Internet.
"Hello everybodyyyyy". C'est sur un forum américain que "cette sensation étrange" est évoquée pour la première fois, le 19 octobre 2007. Dans un fil de discussion étiqueté "santé", un internaute décrit une "sensation étrange qui lui permet de se sentir bien". Il évoque également les frissonnements qu'il ressent à l'écoute de certains sons. Deux ans plus tard, la première vidéo de "whisperers" (mumureurs) est publiée sur YouTube. Intitulée "Whisper 1 - hello", une femme y explique en chuchotant qu'elle ressent elle-même des frissons.
Voici la première vidéo d'ASMR :
Ce n'est qu'en 2010 qu'un nom est donné à cette pratique. A l'époque, l'Américaine Jennifer Allen crée un groupe Facebook intitulé "ASMR". Et depuis, le phénomène n'a cessé de prendre de l'ampleur : sites Internet, fil Reddit, chaîne YouTube, page Wikipedia, etc. Selon Google trends, la requête "ASMR" a explosé dans le courant de l'année 2013. Si bien que certaines vidéos publiées sur YouTube dépassent désormais le million de vues.
C'est notamment le cas de celles réalisées par Gentle Whispering, la star de la communauté, qui totalise près de 250.000 abonnés. Depuis le lancement de sa chaîne en juin 2011, ses compteurs affichent 60 millions de vues. A ses débuts, la jeune femme joue la carte du mystère, pas question de montrer son visage, la "whisperer" à la voix sensuelle se contente de parler de ses goûts, le tout en chuchotant et en touchant divers objets. C'est même en effleurant un magazine du bout des doigts qu'elle se présente dans sa première vidéo.
La première vidéo de Gentle Whispering, la star de la communauté :
Leçons d'histoire, cours de cuisine, astuces maquillage… Car pour les whisperers, le fond importe peu, c'est le son qui compte. Les internautes choisissent donc librement le thème de leurs vidéos : leçons d'histoire, cours de cuisine, astuces maquillage, commentaires de jeux-vidéos.
"Il existe autant de thèmes différents que de whisperers", abonde Vincent, surnommé "The French Whisperer" sur YouTube. Ce passionné d'histoire, de peinture et d'astronomie s'est d'ailleurs lancé dans l'aventure en exploitant ses différentes passions. "Au départ, je souhaitais faire une chaîne sur l'histoire et l'astronomie. Et puis j'ai découvert l'ASMR et je me suis dit que j'allais mêler les deux", confie-t-il à Europe 1. Ce banquier de profession, qui a commencé son activité de whisperers il y a six mois, publie ainsi deux à trois fois par semaine des vidéos sur "le mythe de l'Atlantide", "la liberté guidant le peuple", ou encore "la naissance de la terre". Le tout en chuchotant.
Le Mythe de l'Atlantide expliqué par "The French Whisperer" :
"Sirène bio" est elle aussi partie de sa passion initiale avant de pour la partager avec les adeptes de l'ASMR. "Je traite des sujets qui me passionnent comme les soins bio, la dermatologie naturelle, la relaxation", confie-t-elle à Europe 1. Sur sa chaîne Youtube, se mêle ainsi des vidéos où elle parle "normalement", et d'autres où elle chuchote en lisant des contes pour enfants, ou en racontant ses dernières vacances. "Certaines personnes qui arrivent sur mes vidéos d'ASMR ne comprennent pas. Ils se disent : 'c'est quoi cette fille qui chuchote, c'est ridicule'. Pour autant, la grande partie de l'audience sur la chaîne YouTube vient des vidéos d'ASMR", constate-t-elle ravie.
Dans la communauté des Youtubeurs ASMR, certains oublient même totalement les images. Il n'est pas rare alors de tomber sur des vidéos de dix heures reproduisant le son du tapotement sur un clavier d'ordinateur. "Ce sont généralement des sons du quotidien, comme se brosser les cheveux, se laver les mains, mâcher un chewing-gum, tapoter ses ongles contre un meuble", énumère Mylène à qui un internaute a demandé une fois d'enregistrer le bruit d'une allumette qu'on éteint dans l'eau.
Exemple de différents bruits reproduits en vidéo :
"Des frissons en écoutant ma vieille tante." Mais alors pourquoi certains sons "font de l'effet" ? "Il y a un côté très subjectif à tout cela. Certaines personnes vont être sensibles à certaines sonorités", commente Yves Ormezzano, ORL et phoniatre attaché des hôpitaux de Paris, contacté par Europe 1. Mais quand on interroge les adeptes de l'ASMR, tous évoquent des souvenirs sonores liés à l'enfance. "J'avais six ans quand j'ai ressenti ce sentiment pour la première fois. J'étais chez mes grands-parents et je faisais semblant de dormir dans le canapé. Mes grands-parents se sont alors mis à chuchoter pour ne pas me réveiller, et c'est là que j'ai ressenti cette sensation d'apaisement et de bien-être", se remémore Siemon, surnommé WolfberryWhisper sur Youtube.
"Je me souviens avoir ressenti ses frissons en écoutant ma vieille tante à la voix très rauque. Je ressentais la même chose quand elle tapotait ses ongles sur une table. Vers sept ans, j'ai commencé à ressentir ces mêmes sensations lorsque j'écoutais quelqu'un absorber par une tâche manuelle, comme la cuisine par exemple", se souvient de son côté Vincent.
Une vidéo par jour pour se "détendre". Et c'est cette sensation perdue que les adeptes de l'ASMR recherchent sur YouTube. "L'idée est de revivre et de retrouver ces moments relaxants liés à l'enfance", reconnaît Mylène, qui s'est lancée dans l'aventure il y a huit mois. D'autres internautes veulent soigner des problèmes d'insomnies, voire de dépression. "Je souffrais d'insomnie depuis plusieurs mois et j'ai décidé de chercher des vidéos sur Internet pour me relaxer. C'est comme ça que j'ai découvert l'ASMR. L'effet a été immédiat, je me suis tout de suite sentie relaxée. Depuis, j'en écoute régulièrement avant de m'endormir". "Sirène bio", qui consulte environ une vidéo par jour pour se "détendre". Vincent, lui, est moins "accro". Il confie consulter environ deux vidéos par semaine, mais explique qu'il lui faut passer beaucoup de temps avant de "trouver la bonne".
Et une fois que la "bonne" vidéo est trouvée, Vincent, Siemon, Mylène, Amandine décrivent tous les mêmes sensations : "un frisson qui part de la tête, descend dans la nuque, engourdit les bras, le dos et se répand parfois dans tout le corps, provoquant enfin une sensation d'apaisement et de relaxation", détaille Vincent.
"Quelque chose qui est connu depuis des siècles". Mais ces sensations ont-elles une explication scientifique ? Si certains adeptes de l'ASMR ont entrepris des recherches pour attribuer un crédit scientifique à l'ASMR, aucun chercheur ne s'est jusqu'ici penché sur le phénomène. Selon le docteur Yves Ormezzano, ce phénomène est pourtant vieux comme le monde. "C'est quelque chose qui est connu depuis des siècles. A l'époque des castras, des dames racontent qu'elles s'évanouissaient dans les loges en entendant chanter certains castras", rappelle ce spécialiste de l'audition.
Selon lui, les sensations ressenties par les adeptes de l'ASMR sont donc tout à fait "crédibles". "On sait très bien qu'il y a des tas de stimulus sonores qui peuvent donner des sensations physiques. C'est quelque chose de réflex. Lorsqu'une stimulation est interprétée par le cerveau comme quelque chose d'agréable, des hormones sont dégagés, la dopamine par exemple, et cela donne un sentiment de bien-être, de détente, voire d'euphorie", éclaircit Yves Ormezzano. Et de préciser : "il se passe exactement la même chose qu'au moment de l'orgasme".
Du "porno soft" ? Et comme sur Internet, il existe une version porno pour à peu près tout, l'ASMR n'échappe pas à la règle. Sur certaines vidéos, des femmes soucieuses de conserver leur anonymat choisissent par exemple de filmer leur décolleté. "Ajoutez à ça leur voix sensuelle, leur allocution très lente, leur gestes langoureux et on n'est pas loin d'un téléphone rose artisanal", s'amuse Vincent. Une forme de "porno soft" que déplore Mylène. "Certaines filles sont trop vulgaires, trop sensuelles et souhaitent à tout prix à plaire la gent masculine", s'agace la Youtubeuse qui précise toutefois que ces vidéos sont minoritaires. Et Vincent de conclure : "quelqu'un qui cherche quelque chose de 100% érotique à largement de quoi faire sur Internet plutôt que de consulter des vidéos d'ASMR".