A New York ou en Californie, à Toronto, à Londres et à Madrid, ils occupent le devant de la scène. Mais en France, les "indignés" sont à la peine. Ils ne sont que quelques dizaines à camper, depuis deux semaines, dans le quartier d'affaires de La Défense près de Paris. Quant à l'occupation de la place de la Bastille en mai dernier, elle n'a réuni que quelques centaines de personnes : rien à voir avec les milliers d'Indignados qui ont occupé la Puerta del Sol de Madrid au printemps, ou avec les "99%" d'Occupy Wall Street.
Pour Julien Bayou, militant dans les collectifs Jeudi noir et Génération précaire, conseiller régional (EELV) d'Île-de-France, tout est une question de contexte. "Là où ça a vraiment cartonné, il y a à chaque fois des gouvernements de gauche qui mènent des politiques de droite, de résignation, ou qui déçoivent", a affirmé cette figure du nouveau militantisme français à Europe1.fr.
"L'horizon, c'est l'alternance"
"Quand vous êtes indigné, vous ne pouvez pas compter sur la droite, et quand c'est la gauche [qui est au pouvoir], vous ne pouvez compter que sur la rue", analyse-t-il. Or, en France, "il y a une droite qui mène une politique de droite". Et "l'horizon, c'est l'alternance par les urnes". En d'autres termes, "les gens ont plus la tête à l'élection de 2012 qu'à la rue".
Julien Bayou met en avant un exemple frappant : le samedi 15 octobre, la journée mondiale des "indignés" a fait un flop en France, ne rassemblant que quelques centaines de manifestants à Paris, contre plusieurs milliers ailleurs dans le monde. Mais le lendemain, "il y avait trois millions de gens à voter pour la primaire" socialiste.
Protection sociale
Autre élément de réponse, le paysage politique français est bien particulier. Florence Faucher, professeure de sciences politiques à Sciences Po, est spécialiste du militantisme en France et en Grande-Bretagne. Elle estime qu'il existe en France "beaucoup de mouvements qui pourraient se substituer" aux demandes des "indignés". Par comparaison, en Grande-Bretagne, il n'existe "pas vraiment d'extrême-gauche" qui pourrait jouer le même rôle. Alors qu'en France, les revendications sont "canalisées" par le débat politique, a-t-elle expliqué à Europe1.fr.
La faiblesse du mouvement dans l'Hexagone étonne jusqu'au magazine américain Time, qui note que la "docilité" ne fait pourtant pas vraiment partie du caractère des "turbulents" Français. En cause selon l'hebdomadaire, le fait que les Français ont été relativement épargnés par la crise économique. Florence Faucher va dans le même sens et note que les sociétés américain et britannique sont "socialement dures", tandis qu'il existe en France un "filet de protection sociale plus important".
Le diplôme protège encore
Monique Dagnaud, sociologue, propose un autre élément d'explication. Cette spécialiste de la jeunesse note que le mouvement des "indignés" est plutôt composée "d'étudiants désillusionnés" qui, comme en Espagne, "ne trouvent pas de place dans la société". Mais les jeunes diplômés français, en comparaison, s'en sortent bien. Le diplôme, "obsession de la société française", permet encore de "trouver un emploi", a-t-elle affirmé à Europe1.fr.
Et Monique Dagnaud d'affirmer qu'en revanche, si la contestation portait sur une menace concernant l'éducation ou le diplôme, la mobilisation serait au rendez-vous. Pour elle, "si demain la France n'insère plus les diplômés", le mouvement pourrait bien finir par surgir dans l'Hexagone.