Le texte a été finalisé lundi matin entre Manuel Valls et Jean-Marc Ayrault et sera transmis aux maires et aux préfets dans les prochains jours. Objectif de cette circulaire : "permettre de prendre des dispositions pour empêcher la banalisation des propos antisémites". Dans le viseur du ministre de l'Intérieur et du Premier ministre, la tournée de Dieudonné qui commence jeudi à Nantes. Mais la volonté de Manuel Valls de faire interdire les spectacles controversés bute sur une législation plutôt favorable à la liberté d'expression.
Pas d'interdiction a priori. Garantie par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, la liberté d'expression offre un champ d'action à Dieudonné. Son avocat l'a d'ailleurs répété lundi matin sur le site Lyon Capitale : "tout propos n'est pas licite, mais on laisse les gens s'exprimer. Et si les éléments d'une infraction, notamment antisémite ou raciste, sont constitués, on poursuit. Mais on n'interdit pas aux gens de s'exprimer". Le contrôle se fait donc a posteriori et non a priori. Radio France a ainsi annoncé qu'elle allait saisir la justice après la révélation de propos antisémites à l'encontre de l'un de ses journalistes.
Un trouble à l'ordre public. La liberté d'expression peut néanmoins être limitée en cas de "trouble grave à l'ordre public". C'est dans ce cas que la circulaire de Manuel Valls pourrait s'appliquer puisque, selon Matignon, le texte permettra aux maires et aux préfets de "prendre les décisions nécessaires avant la tournée", c'est-à-dire d'interdire localement les représentations en fonction des risques de trouble.
Néanmoins, ces décisions peuvent être attaquées en "référé liberté". Dieudonné, déjà touché par plusieurs annulations administratives de ses spectacles, a ainsi gagné une quinzaine de recours devant la justice. "A chaque fois qu'un arrêté est pris, on le fait suspendre", s'est enorgueilli son avocat la semaine dernière.
Une question de proportionnalité. L'avocat Pierrick Gardien explique sur le site Le village de la justice que "la liberté est la règle et la restriction de police l'exception". Il note également que "le Conseil d’Etat a posé le principe selon lequel l’autorité compétente doit toujours, avant de prendre une mesure de police, s’interroger sur le caractère excessif, ou pas, de la mesure par rapport au risque de trouble à l’ordre public". Ainsi "toute mesure de police portant interdiction générale et absolue d’exercer une activité, ou de tenir une réunion publique doit être regardée comme illégale sauf si l’autorité qui a pris la mesure peut démontrer qu’il n’y avait pas d’autres moyens de sauvegarder l’ordre public", précise-t-il. Et pour le spécialiste, il ne fait pas de doute que la circulaire de Manuel Valls "n’apportera juridiquement rien de nouveau par rapport à l’état du droit existant en matière de mesure de police administrative".
Appliquer la loi, tout simplement. Pour Pierre-Olivier Sur, le nouveau bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris, l'interdiction des spectacles de Dieudonné n'est pas la bonne solution. Invité lundi matin sur Europe 1, l'avocat pénaliste a estimé qu'il faut simplement "appliquer la loi Gayssot". "La loi sur l'injure et la diffamation, très ancienne loi de 1881 revisitée par la loi Gayssot de juillet 1990, permet de la prison ferme pour les appels à la haine et l'antisémitisme", a-t-il rappelé, ajoutant que Dieudonné risque "un an de prison ferme". "Je regrette que des poursuites ne soient pas immédiatement orchestrées contre Dieudonné et tous azimuts à raison de chacun des propos inadmissibles qu'il tient tous les jours", a ajouté l'avocat.