En pleine affaire politico-judiciaire Woerth-Bettencourt, la critique fait mouche. La Cour européenne des droits de l'homme a épinglé mardi la France pour l'absence d'indépendance de son parquet à l'égard du pouvoir exécutif. Décryptage d’une décision qui pourrait être lourde de conséquences.
Quelle est l’affaire à l’origine de cette décision ? La Cour européenne des droits de l'homme a donné raison à une avocate française, France Moulin. En garde à vue dans une affaire de blanchiment d'argent de la drogue, elle a été placée en détention provisoire sur décision du procureur-adjoint du tribunal de Toulouse, un membre du parquet qui dépend hiérarchiquement du ministère de la Justice. Ce n’est qu’au bout de cinq jours qu’elle a été finalement été présentée à un juge d’instruction, qui est lui indépendant du pouvoir politique.
De la notion ‘autonome’ de magistrat"
Sur quoi s’appuie la décision de la CEDH ? Sur la Convention européenne des droits de l’homme qui précise dans un de ses articles que "toute personne arrêtée ou détenue (.) doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires". Or, parmi les "garanties inhérentes à la notion ‘autonome’ de magistrat", la CEDH rappelle qu’il est nécessaire d’avoir une "indépendance à l’égard de l’exécutif". Une condition que ne remplissent pas les membres du parquet en France car ils "dépendent tous d'un supérieur hiérarchique commun, le garde des Sceaux, ministre de la Justice qui est membre du gouvernement et donc du pouvoir exécutif", explique la CEDH.
Quelle est la conclusion de la CEDH ? La cour de Strasbourg se garde bien de rentrer dans le débat franco-français du statut du parquet. Elle "estime que ce n'est pas à eux de contrôler la détention et de garantir les droits fondamentaux", commente Me Patrice Spinosi, l’avocat de France Moulin qui a obtenu 5.000 euros au titre du dommage moral.
Que répond la France ? Le ministère de la Justice a annoncé immédiatement son intention de faire appel de la décision de la Cour européenne des droits de l’homme. Pour la France, dans l’affaire France Moulin, le procureur-adjoint du tribunal de Toulouse n’a fait qu’exécuter un mandat d'amener délivré par un juge d'instruction, qui lui est un magistrat indépendant.
La réforme du gouvernement mal en point
Pourquoi cette décision était-elle embarrassante pour la France ? Parce que le gouvernement a depuis de longs mois dans ses cartons une réforme de la justice, qui prévoit notamment la suppression du juge d’instruction, magistrat indépendant, au profit d’un nouveau "juge des enquêtes et libertés" dépendant hiérarchiquement de l’autorité politique. Michèle Alliot-Marie, l’ancienne garde des Sceaux, avait cependant reconnu il y a quelques mois que cette réforme n’était plus d’actualité.
Comment sortir de l’impasse ? Pour l’Union syndicale des magistrats, le syndicat majoritaire, la décision européenne n’est qu’une piqûre de rappel qui confirme que "le statut des magistrats du parquet français doit impérativement évoluer". Sa principale proposition : "que l'indépendance soit accordée aux magistrats du parquet".