L’invisibilité, la protection de demain ?

Un exemple de méta-matériaux utilisé par les physiciens pour créer l'invisibilité. Cette cape, créée par l'Institut Fresnel, à Marseille, est en aluminium et mesure 20 cm de diamètre et 1 cm de hauteur.
Un exemple de méta-matériaux utilisé par les physiciens pour créer l'invisibilité. Cette cape, créée par l'Institut Fresnel, à Marseille, est en aluminium et mesure 20 cm de diamètre et 1 cm de hauteur. © CNRS
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Frédéric Frangeul , modifié à
Les physiciens multiplient les recherches pour développer des applications révolutionnaires.

L’invisibilité, objet de tous les fantasmes depuis des siècles, fera-t-elle bientôt partie de notre quotidien ? Cela semble de moins en moins irréel, au regard des recherches effectuées par des équipes de physiciens du monde entier. Pour faire le point sur les dernières avancées scientifiques sur cette question, d’éminents chercheurs avaient ainsi rendez-vous mercredi au siège du CNRS à Paris. L’occasion de décrypter les enjeux de ces travaux et leurs éventuelles applications concrètes.

Comme l’eau évite un rocher avant de reprendre son chemin

Comment parvient-on à l’invisibilité ? "Pour réussir à rendre un objet invisible, on utilise un méta-matériau", explique Claude Amra, directeur de recherche au CNRS à l’Institut Fresnel à Marseille. Cet élément est une sorte de filtre, placé autour de l'objet, et permettant à la lumière de le contourner avant de reprendre sa direction initiale. Si physiquement, le faisceau lumineux est dévié par le méta-matériau, l'oeil humain n'en a lui pas conscience puisque la vue "traverse" l'objet rencontré.

Pour faire comprendre ce phénomène, l’image habituellement utilisée est celle de l’eau d’un ruisseau qui rencontre un rocher avant de le contourner pour se reconstituer derrière lui, comme s’il n’avait jamais existé.

De multiples déclinaisons. "Mais l’invisibilité n’est pas qu’optique", rappelle Claude Amra. "Elle peut aussi se décliner dans les domaines de l’acoustique, de la mécanique ou de la chaleur".  

Quand invisibilité rime avec protection

Les recherches sur l’invisibilité ne sont par ailleurs pas motivées par le simple désir d’assouvir des rêves d’enfants. En effet, l’un des enjeux essentiels de ces travaux repose sur les possibilités offertes par l’invisibilité en matière de protection.  

La cape de silence. Ainsi, toujours en utilisant un méta-matériau, il est possible de créer une cape de silence. Celle-ci permet d’être invisible aux ondes sonores. Quand elle arrive à proximité de l’objet protégé, l’onde est détournée. A la différence d’un casque, cette cape sonore peut stopper les sons en provenance d’une zone donnée, mais laisser passer tous les autres. Dans le domaine militaire, l’utilisation de ce type de cape sonore pourrait par exemple empêcher la détection d’un sous-marin.

Un usage anti-sismique. En matière d’élasto-dynamique, l’invisibilité pourrait prendre tout son sens pour la protection anti-sismique. "En structurant le bon méta-matériau autour de bâtiments à protéger, on pourrait imaginer de détourner les ondes sismiques". Pour y arriver, il faudrait réussir à créer un méta-matériau capable de dévier des ondes de fréquences différentes, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Une cape anti-tsunami.  En hydro-dynamique, le méta-matériau placé autour d’une zone à protéger, tel une zone portuaire, pourrait permettre  à la vague de s’écouler de part et d’autres de l’objet à protéger. "C’est ce qu’on appelle les capes anti-tsunami", indique Claude Amra. "Elle pourrait permettre à long terme de protéger une zone portuaire". A l’heure actuelle, les expériences en bassin portent sur 10 ou 20 mètres.

Un bouclier anti-chaleur. Toujours selon le même procédé, il est possible de faire un usage thermique de l’invisibilité. "De manière concrète, cela pourrait être utile pour la protection de composants électroniques et éviter leur dégradation par la chaleur", assure Claude Amra.

Les limites de la recherche

Reste qu’aujourd’hui, les champs d’expérimentation, dans le domaine de l’optique par exemple, concernent des espaces de taille infime, de l’ordre de 100 microns, soit une dixième de millimètres. On est donc encore loin de pouvoir réussir à faire "disparaître" une personne.

Toutefois, "il y a une dizaines d’années, ce type de recherches faisaient sourire", se souvient Claude Amra. "Aujourd’hui, ce sont des sujets très en vogue avec une concurrence très féroce sur l’international". Preuve de cette émulation, une cape d’invisibilité temporelle présentée en janvier par une équipe de chercheurs américains, permettant, le temps d’une infime fraction de seconde, de rendre un objet totalement indétectable.