La Poste, un nouveau France Télécom ?

Trois suicides ont été recensés à La Poste en six mois.
Trois suicides ont été recensés à La Poste en six mois. © Max PPP
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DÉCRYPTAGE - Les suicides à La Poste ne sont pas sans rappeler le cas "France Télécom".

Que se passe-t-il à La Poste ? En six mois, trois salariés ont mis fin à leurs jours, les syndicats désignant en cœur le mal-être au sein du groupe devenu, en mars 2010, une société anonyme à capitaux publics. "Malaise énorme", "mal vivre au travail", "syndrome dépressif" : les syndicats tirent la sonnette d’alarme pour dénoncer une situation qui n’est pas sans rappeler celle de France Télécom, touché par une vague de suicides en 2009-2010.

"Je retrouve dans le discours de mes patients [de La Poste] les mêmes choses que chez ceux de France Télécom", confie à Europe1.fr la psychiatre Brigitte Font Le Bret, auteur de Pendant qu’ils comptent les morts, qui reçoit, dans son cabinet près de Grenoble, des facteurs "amaigris, épuisés".

"On ne parle plus d’usagers, mais de clients"

"Ces deux entreprises sortent du service public, et doivent affronter à la fois la concurrence et de nouveaux principes d’organisation", abonde de son côté sur Europe 1 Jean-Claude Delgènes, dont le cabinet, Technologia, a analysé les suicides chez Renault en 2007 et ceux chez France Télécom.

Pour Dominique Decèze, ancien journaliste, spécialiste de la santé au travail et auteur de France Télécom, la machine à broyer, le changement de statut de La Poste, comme à France Télécom, a "fait que l’entreprise a adopté des méthodes totalement marchandes". "On ne parle plus d’usagers, mais de clients", indique-t-il à Europe1.fr, jugeant que ces changements "déboussolent beaucoup les gens". La CGT, premier syndicat du groupe, fustige une "véritable catastrophe humaine".

Des objectifs de vente

"On change les métiers des gens, en mutant ou en changeant les horaires pour qu’ils soient le plus flexibles possibles", et pour les postiers, "les tournées sont bousculées", décrit Dominique Decèze. Les guichetiers ne sont pas en reste, souligne le Dr Brigitte Font Le Bret : "on leur demande des objectifs de vente très précis, par exemple sur les cartes téléphoniques", comme dans les agences France Télécom.

Voyant là la "phase finale de la restructuration de La Poste", Dominique Decèze souligne que "c’est une phase qu’a connue France Télécom, qui perturbait beaucoup les gens, une phase dont on sait qu’elle va causer des dégâts".

Mesures de prévention

Les deux scénarios ne sont toutefois pas exactement similaires : "France Télécom était une entreprise très endettée" et qui a vécu "des mutations technologiques très importantes", rappelle Jean-Claude Delgènes. Et "on peut penser que La Poste avait connaissance de l’expérience de France Télécom", les deux entreprises étant issues de la même administration.
La Poste avait d’ailleurs pris quelques mesures pour pallier ces effets prévisibles, notamment en commandant une enquête à un spécialiste de la souffrance au travail. Mais si le mal-être à La Poste est dénoncé depuis 2010, notamment par des médecins, "rien n’a été fait", juge la CGT.

L’exemple de Renault

Après la défenestration du jeune cadre de Rennes, la direction de La Poste a annoncé l’ouverture prochaine d’un "cycle d’écoute sur la santé et le bien-être au travail". Pour Dominique Decèze, "ces phénomènes sont identifiés, étudiés et évalués" et des mesures "permettent d’éviter les effets les plus nocifs des restructurations".

"Redonner la parole aux salariés, écouter avant de prendre une mesure" ou encore donner une visibilité sur l’avenir : ces conseils, appliqués chez Renault, ont permis d’enrayer la vague de suicides en 2006-2007. Il s’agit de rétablir "un dialogue entre les chefs d’équipe et les personnes sous leurs ordres", souligne Dominique Decèze, ajoutant, pour résumer, qu’il faut "que le ‘n+1’ vous considère comme un homme".