La criminologie a-t-elle été sacrifiée sur l'autel de la politique politicienne? Cette filière universitaire, créée en mars dernier par le précédent gouvernement, a été supprimée mardi par un arrêté du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Ses partisans dénoncent "un pari contre la science", ses détracteurs saluent l'enterrement d'un "oukase" de l'ère Sarkozy. Explications.
Qu'est-ce que la criminologie ? La criminologie est l'étude des questions qui entourent les crimes, leurs origines, leurs raisons, les manières de les enrayer… La filière universitaire officielle n'aura donc existé que six mois, puisqu'elle a été enterrée mardi.
Mais elle existait déjà sous forme disparate avant mars dernier. "A ce jour, une quinzaine d'instituts de droit pénal et de sciences criminelles sont établis dans les universités françaises. Chaque année, des centaines d'étudiants en droit, en sociologie, en science politique, en psychiatrie, en histoire, soutiennent des mémoires et des thèses sur tel ou tel aspect de la criminalité et de son contrôle", détaillaient au Monde, en mars dernier, plusieurs universitaires dans une tribune.
Les "criminologues" qui écument les plateaux télés, lors d'affaires comme celle de Mohamed Merah par exemple, n'ont donc pas de titre officiel.
"Il y aurait une criminologie de droite, et une objective"
Pour quelles raisons la filière a-t-elle été créée ? C'est sous l'impulsion d'Alain Bauer, professeur de criminologie au Conservatoire national des arts et métiers et conseiller officieux de Nicolas Sarkozy, que cette section de criminologie a été créée. L'argument invoqué : la nécessité de renforcer une discipline dont l'enseignement était jugé disparate et peu lisible, voire "clandestin".
"Sociologues, juristes, psychologues et psychiatres reconnaissent tous un besoin de connaissance et de formation sur les questions criminelles. Des dizaines de formations ont été identifiées. Les enseignants ou les étudiants concernés devront-t-ils donc continuer à être des sans-papiers de l'université ? Chaque rapport parlementaire sur la récidive, la folie homicide, la violence se termine par une demande de plus d'expertise, de formation, de connaissance", avait défendu dans Le Monde Alain Bauer, il y a six mois, lors de la création de la filière.
Par ailleurs selon la Fenepsy (Fédération nationale des étudiants en psychologie), "la France est en retard par rapport à d'autres pays, comme l'Allemagne, le Canada ou l'Angleterre, qui ont reconnu la criminologie comme une filière à part entière ".
"Selon ses détracteurs, il faudrait rejeter la criminologie parce que ses références politiques seraient entachées d'une origine douteuse. La criminologie serait, nous dit-on le vecteur de politiques répressives et punitives. Aux yeux de certains, il y aurait donc, d'une part, une criminologie de droite et, d'autre part, d'autres disciplines, exemptes de toute subjectivité politique. Mais ces critiques idéologiques de la criminologie ne tiennent aucun compte des intérêts de la société", scandait encore un collectif d'universitaires partisans de la filière dans une tribune, en mars 2012.
"De quel retard parle-t-on?"
Que lui reprochent ses détracteurs ? La décision de sa création avait été prise contre l'avis d'une partie du monde universitaire, qui y voyait une volonté politique. L'affaire avait suscité un véritable tollé.
Le Snesup-FSU, premier syndicat d'enseignants dans le supérieur, avait dénoncé un "oukase gouvernemental" appuyé sur "une pseudo-consultation publique dont les résultats n'ont jamais été publiés". Le syndicat a d'ailleurs salué jeudi la suppression de la filière, au nom de "la cohérence dans le découpage des spécialités des universitaires". Il a reçu le soutien de nombreux figures enseignantes, notamment au sein du Conseil national des universités (CNU) - instance compétente pour la gestion de carrière et la promotion des enseignants-chercheurs.
"Le discours justifiant la création de la section de criminologie repose sur une dissimulation scandaleuse, avait renchéri un autre collectif d'universitaires dans Le Monde. Qu'il n'y ait pas de section ne signifie pas que l'enseignement et la recherche sur les formes de criminalité n'existent pas. De quel retard parle-t-on?"
Des "Assises" d'octobre à décembre
Comment se justifie le gouvernement actuel ? Le ministère de l'Enseignement supérieur invoque des arguments de gestion du personnel, pour justifier la fin de la filière. "Il aurait fallu que 36 enseignants-chercheurs s'inscrivent au sein de la section pour qu'elle puisse fonctionner, or seuls 17 se sont manifestés. Ce n'est pas un problème de personne", assure au Monde le cabinet de Geneviève Fioraso, ministre de l'Enseignement supérieur.
Mais Alain Bauer, principal visé par la polémique, n'est pas du même avis. Il s'est confié au quotidien du soir : "Bien sûr que c'est lié, aussi, à ma personnalité et à mon parcours ! Mais c'est oublier que tous ceux qui défendent ce projet viennent de tous les horizons politiques. Cette décision est surtout un pari contre la science."
Quel avenir pour la criminologie ? Le gouvernement se veut rassurant : la question de l'amélioration de la criminologie française n'est pas abandonnée. "Nous préférons aborder à froid la question des disciplines transversales, dont la criminologie. Elle le sera lors des Assises de l'enseignement supérieur et de la recherche, d'octobre à décembre", assure-t-on au cabinet de Geneviève Fioraso.