Le rapport. Les religions semblent perturber de plus en plus le fonctionnement de l'Université. À en croire un rapport alarmiste du Haut Conseil à l'intégration (HCI), transmis à l'Observatoire de la laïcité et dont Le Monde révèle lundi des extraits, les directeurs de l'enseignement supérieur sont confrontés à de "nombreux contentieux (liés aux religions) intervenus dans tous les secteurs de la vie universitaire". Face à cela, le rapport propose un certain nombre de mesures, dont l'une ne manquera pas de faire polémique : interdire le voile dans le supérieur.
>> Que faut-il retenir de ce rapport ? Est-il crédible ? On décrypte.
Le constat : "les problèmes se sont banalisés". Selon le rapport, "certaines universités" font face, pour des raisons de religion, "à des demandes de dérogation pour justifier une absence, au port de signes d'appartenance religieuse, à des actes de prosélytisme, à la récusation de la mixité tant au niveau des étudiants que des enseignants, à la contestation du contenu des enseignements, à l'exigence de respect des interdits alimentaires, à l'octroi de lieux de culte ou de locaux de réunion à usage communautaire..."
"Les problèmes n'ont pas disparu, ne se sont pas raréfiés mais se sont banalisés", poursuit même le document. Des "actions souterraines (associations cultuelles masquées, conférences à contenu politico-religieux, etc.)", sont évoquées et des professeurs se plaignent de "la difficulté qu'ils éprouvent parfois à organiser des binômes d'étudiants des deux sexes".
Quelles religions sont concernées ? Si, d'après Le Monde, le HCI semble pointer particulièrement l'Islam, les chrétiens ne sont pas non plus épargnés. Le rapport évoque ainsi "certaines universités où des tenants de courants chrétiens évangéliques ou néobaptistes critiquent les théories darwiniennes de l'évolution au profit de thèses créationnistes. Ailleurs, des écrits de Voltaire, de Pascal ou de Camus peuvent être rejetés", ce qui provoque le "malaise d'un nombre croissant d'enseignants" face à cette "montée de revendications identitaires et communautaristes, de fermeture, voire d'ostracisme, de refus de certains savoirs".
Comment enrayer cette "montée". Intégrer systématiquement un article dans les règlements intérieurs visant à prévenir les contestations d'enseignement, insérer l'étude du principe de laïcité dans les programmes des formations débouchant sur un métier des fonctions publiques d'État, hospitalière ou territoriale etc. le rapport émet, au total, douze propositions. Mais la plus polémique est sans nul doute l'adoption d'une loi interdisant "dans les salles de cours, lieux et situations d'enseignement et de recherche des établissements publics d'enseignement supérieur, les signes et tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse". Comprendre notamment le voile islamique.
Ce rapport est-il crédible ? Le rapport publié par le quotidien du soir s'appuie sur des auditions menées ces derniers mois par la mission sur la laïcité du HCI, ainsi que sur une enquête de la Conférence des présidents d'université (CPU) de 2004. Pourtant, certains doutent de sa pertinence. "Ce n'est pas une enquête scientifique, de terrain. Lors de ces auditions, on interroge souvent des gens qui pensent préalablement qu'il y a un problème. C'est comme ça que fonctionnent ces organisations, type HCI. Le HCI est en train de dévier vers l'idéologie plus que la recherche", critique ainsi Raphaël Liogier, directeur de l'Observatoire du religieux et auteur de "L'islamisation est un mythe", contacté par Europe1.fr.
"La laïcité n'est pas en danger". "Les manifestations religieuses n'ont pas gagné du terrain ces dernières années à l'Université. La laïcité n'y est pas en danger", insiste le spécialiste. "Ce qui est vrai, en revanche, c'est qu'à force de stigmatiser une religion, d'assimiler Islam et communautarisme, certains vont se sentir attaqués personnellement et cela va aggraver les choses", prévient-il. Et de conclure : "vouloir interdire le voile au lycée se justifie par la volonté de protéger des mineurs de l'influence de leur famille. Mais dans le supérieur, cela n'a aucun sens. Les étudiants sont majeurs. On doit les laisser s'exprimer." Contacté par Europe1.fr, le HCI, lui, se refuse à tout commentaire.
L'Observatoire de la laïcité a, pour sa part, bien précisé que le rapport du HCI ne l'engageait en rien. "Leur 'mission laïcité' n'est d'ailleurs plus en fonction. Pour notre part, nous n'avons pas encore suffisamment d'éléments pour avoir une position arrêtée sur cette question précise. Mais dans ce que nous avons constaté dans notre point d'étape en juin, le bilan semble plus mesuré que ce que dit le rapport", détaille Nicolas Cadène, le Rapporteur général, contacté par Europe1.fr. À l'automne, l'Observatoire doit publier ses recommandations pour défendre la laïcité en général (pas seulement à l'université). "Mais l'interdiction du voile dans le supérieur n'est pas à l'ordre du jour. C'est compliqué, les étudiants sont majeurs", tranche Nicolas Cadène.