Les attentats de la rue de Rennes à Paris en 1986. L'attentat du RER Saint-Michel à Paris en 1995. Le Gang de Roubaix en 1996. Avec l'Espagne (attentats de Madrid en 2004) et la Grande-Bretagne (explosions à Londres en 2005), la France compte parmi les rares pays européens à être touchés par la menace terroriste depuis plus de trente ans.
Et aujourd'hui, tout semble indiquer que les tueries de Toulouse et Montauban entrent elles aussi dans cette catégorie. Soupçonné de sept meurtres à Toulouse et Montauban, Mohammed Merah, 23 ans, Français d'origine algérienne, est "quelqu'un qui a des attaches avec des personnes qui se réclament du salafisme et du djihadisme" et qui a effectué "des séjours en Afghanistan et au Pakistan par le passé", a ainsi déclaré le ministre de l'Intérieur, Claude Guéant.
Deux séjours dans la zone repérés
Le procureur de Paris, François Molins, a détaillé mercredi après-midi que Mohamed Merah avait en fait effectué un séjour en Afghanistan où il s'était rendu "par ses propres moyens". Il a ensuite été en 2011 dans le Waziristan, une partie des zones tribales du nord-ouest du Pakistan, à la frontière afghane, où "il explique qu'il a été formé par Al-Qaïda".
La première fois, Mohamed Merah a voyagé "sans emprunter les filières connues des services spécialisés français et étrangers", par ses propres moyens, sans passer par les pays habituellement surveillés. Le deuxième séjour, dans la zone pakistano-afghane, est intervenu en 2011: Merah y est resté deux mois de mi-août à mi-octobre, mais il a dû l'écourter à cause d'une hépatite A qui l'a contraint à revenir sur le territoire français.
"Les sanctuaires d'Afghanistan"
Gilles Kepel, spécialiste du monde musulman, n'a lui aucun doute. Soulignant que "le salafisme (un courant rigoriste de l'islam sunnite fondé sur une interprétation stricte et littérale du Coran, nldr) s'est significativement développé au cours des 25 dernières années", ce dernier rappelle sur Europe 1 "ce qui avait été éventé par les services britanniques il y a peu de temps". A savoir que des groupes d'islamistes radicaux d'origine pakistanaise avaient prévu de tuer des soldats britanniques d'origine musulmane qui avaient servi en Irak". Pour Gilles Kepel "ça fait penser d'une certaine manière, à la façon dont sont instillées dans les sanctuaires d'Afghanistan ou en tout cas ce qu'il en reste, un certain nombre d'idées djihadistes", abonde le spécialiste.
"Un endoctrinement considérable" :
Les nouvelles révélations sur le suspect des tueries de Toulouse et Montauban relancent donc la question des filières afghanes et des Européens partis se former dans les camps de terroristes. Ces filières afghanes que le juge d’instruction au pôle antiterroriste de Paris Marc Trévidic considérait il y a encore un an comme "la plus grande menace" terroriste en France.
Des filières afghanes qui n'ont plus le même visage
Jean-Louis Bruguière, figure médiatique du pôle judiciaire anti-terroriste, distingue "deux périodes importantes". La première va de 1994 à 2001. C'est le temps des premières filières afghanes très organisées avec à peu près un millier de Français ou en tout cas de résidents islamistes qui ont quitté la France pour partir là-bas", analyse-t-il pour Europe 1.
En France, les premiers départs de jeunes de banlieue sont constatés dès le milieu des années 1990. L'implantation du régime taliban et l'installation de Ben Laden amplifient le mouvement. Le 23 octobre 1995, trois mois après l'attentat du 25 juillet, dans le RER, à Paris, la Direction de la surveillance du territoire (DST) est d'ailleurs officiellement saisie d'une commission rogatoire sur le "recrutement de combattants volontaires dans la zone pakistano-afghane". Les services de renseignement français mettent alors en place un système de surveillance et élaborent des fiches sur certains individus, pour surveiller leurs déplacements, sans forcément les interpeller.
Avec les attentats du 11 septembre 2011 et l'intervention militaire en Irak, commence une deuxième phase, raconte Jean-Louis Bruguière. "Après l'épisode iraquien, on a eu un phénomène très différent, c'est-à-dire des individus qui sont partis de façon beaucoup plus isolée, ou en petits groupes ou tous seuls", note-t-il. Une autoradicalisation qui se fait souvent par Internet.
Une vingtaine d'Européens
Comment ces individus venus d'Europe arrivent-ils donc dans ces zones tribales ? "On peut imaginer que les contacts se prennent via des cellules islamistes basées en Europe. Les futurs combattants sont en quelque sorte guidés sur place par des chefs combattants", rapporte la correspondante d'Europe 1 en Afghanistan.
C'est alors dans ces camps qu'ils reçoivent une formation pour ensuite retourner dans leur pays et y mener des attaques terroristes au nom du djihad. Selon Florence Lozac, "le nombre de ces combattants étrangers est estimé à environ 2.000, venus principalement des pays arabes et d'Asie centrale". On compterait aussi une vingtaine d'Européens parmi ces combattants.
Une zone de non-droit
Depuis une dizaine d'années, on a ainsi affaire, selon Jean-Louis Bruguière, à "des individus en plus petit nombre qui généralement sont partis dans le (nord-est du Pakistan, frontalier avec l’Afghanistan, ndlr), donc dans les zones tribales nord et sud au contact du Tehrik-e-Taliban et Al-Qaïda, et qui sont revenus en Europe ou en France". "Ce sont des gens extrêmement violents". Je pense que nous sommes dans ce cas de figure", assure-t-il.
"Ce qu'il faut comprendre, c'est que ces zones tribales qui sont une bande de territoire à la frontière entre le Pakistan et l'Afghanistan sont encore aujourd'hui une zone de non-droit inaccessible, parce qu'elle reste farouchement gardée par des troupes d'insurgés armés", ajoute pour sa part Florence Lozac, correspondante d'Europe 1 en Afghanistan.
Ces zones constituent un "terrain parfait pour être le lieu de passage et d'entrainement pour les combattants venus de l'étranger se former au maniement de armes et à la fabrication d'explosifs et aux principes du Djihad".
Un loup solitaire ?
Mais pour certains spécialistes, l'appartenance de Mohammed Merah à un réseau est loin d'être évidente. "Pour autant qu'il a subi une formation, ça ne veut pas dire que c'est un professionnel parce qu'à moins d'avoir séjourné une année, il n'a pas acquis toute l'expérience nécessaire", analyse au micro d'Europe 1 Louis Caprioli, ancien sous-directeur chargé de la lutte contre le terrorisme à la DST.
"Une connexion avec les membres d'une organisation" :
Pour Dominique Thomas, spécialiste de l'islamisme radical à l'Ecole des hautes études en science sociale (EHESS), "la méthode opérationnelle et la logistique de ce jeune homme montre qu'il dispose de peu de moyens et qu'il n'appartient visiblement pas à un réseau". Sur Europe 1, Alexandre Adler qualifie pour sa part de "paradoxe" le fait que le suspect se réclame d’Al-Qaïda,"car au fond Al-Qaïda est une sorte de canard sans tête".
"Un canard sans tête" :
"Non seulement Oussama Ben Laden est mort, mais la plupart des dirigeants d'Al-Qaïda sont dispersés. Les réseaux ne fonctionnent plus. Bien sûr, ses sympathies ne font aucun doute mais c'est l'un des problèmes que pose ce genre de personnages pour les identifier…il s'est autoproclamé", conclut le spécialiste des relations internationales.
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