C'est une simple affaire familiale qui a dérapé sur un terrain nauséabond. L'ordre des avocats de Lyon a annoncé mardi sa volonté de saisir son conseil de discipline après une requête en récusation déposée par Me Alexis Dubruel, avocat des parties civiles dans une affaire portant sur le respect du droit de visite d'un enfant, contre le juge Albert Lévy, en charge du dossier. Pour l'avocat, le juge, portant un nom supposé juif ne pouvait être impartial, dans cette affaire où le père de la prévenue se nommait Moïse…
"Le mot Moïse selon Wikipédia…"
La copie de la requête en récusation du juge Lévy, publiée par Libérationmardi, révèle sur quels arguments Me Dubruel fonde sa demande, à partir de sources pour le moins… légères : "le 'papa' de la personne (...) se prénomme Moïse", or "la première page de la notice du mot 'Moïse' sur le site Wikipédia mentionne que ce mot 'est selon la tradition, le fondateur de la religion juive", écrit Me Dubruel.
Et c'est là que le conseil "tire un fil" : "la première page de la notice du mot 'Lévy' sur Wikipédia mentionne que ce mot 'est, dans le peuple juif, un des noms portés par les descendants des lévites'", ajoute l'avocat, concluant que "la matérialité de ces constatations n'est pas contestable". En clair : pour l'avocat, le magistrat, du fait de son possible judaïsme, ne peut juger de façon impartiale une prévenue dont le père est lui-même possiblement juif.
Colère du monde judiciaire, requête rejetée
Cette requête, qui date de la fin octobre, a finalement été rejetée mardi par le premier président de la cour d'appel de Lyon. L'affaire qui n'a cependant commencé à s'ébruiter que depuis quelques jours, a suscité dès de vives réaction des avocats et magistrats.
Si le bâtonnier de Lyon, Philippe Meysonnier, s'est dit "outré", de mémoire de magistrat, on n'avait jamais vu une telle requête", avec un "fondement clairement antisémite", s'est indigné de son côté Matthieu Bonduelle, président du Syndicat de la magistrature. "C'est un acte extrêmement grave qui ne peut pas rester sans suite", a-t-il insisté. Avec une telle conception de l'impartialité, "un juge pourrait être mis en cause pour son homosexualité dans le cadre de procédures de garde d'enfant", a donné en exemple le syndicaliste.
Vers des poursuites contre l'avocat ?
Alain Jakubowicz, avocat du juge Lévy et par ailleurs président de la Licra, s'est lui aussi insurgé contre ce risque de dérive, avec des justiciables ne voulant "pas être jugés par un juge homosexuel ou noir" ou d'une appartenance religieuse supposée. Comme dans cette affaire où "tout part du patronyme d'Albert Lévy".
"Il s'agit d'une attaque ignominieuse, ignoble", a déploré Alain Jakubowicz. "Ce précédent est un précédent extrêmement grave et on aurait tort de le sous-estimer", a-t-il ajouté.
Outre le conseil de discipline, "on attend de voir comment va réagir l'autorité judiciaire. Le parquet général peut saisir le procureur de la République pour d'éventuelles poursuites".
>> Mise à jour, 20h00 : Le Parquet général de Lyon a annoncé qu'il engageait une procédure disciplinaire contre l'avocat. "Je vais saisir dans les heures qui viennent le bâtonnier d'une procédure disciplinaire à l'encontre de Me (Alexis) Dubruel", a indiqué le procureur général, Jacques Beaume.
Visiblement furieux de l'ébruitement de l'affaire, Me Dubruel a pour sa part déclaré mardi qu'"il y a une procédure en cours et une autorité judiciaire qui est saisie, qui n'est pas le quatrième pouvoir" qu'est la presse.
Un juge déjà victime d'antisémitisme
La démarche de l'avocat est d'autant plus mal perçue, que le juge Lévy, figure de la magistrature lyonnaise, a fait l'objet d'attaques antisémites. La dernière remonte au printemps, quand le groupe islamiste Forsane Alizza, depuis démantelé, avait projeté son enlèvement. Il avait alors été placé sous protection policière.