La grogne. Dans son bureau d'un grand TGI du sud de la France, Laurence* essaie de ne pas disparaitre derrière les piles de dossiers. C'est sur Twitter, sous le pseudo de @Riiingmybells, que nous avons découvert cette porte-drapeau de la cause des greffiers. Mal payés, peu considérés, inquiets du projet de réforme de Christiane Taubira les concernant, ils ont manifesté mardi dans toute la France.
Rififfi place Vendôme http://t.co/6K7N1cB954#DuRififiDansLesGreffes — WONDERWOMAN (@WomanDiana) 29 Avril 2014
Piles en moins. La semaine dernière, Laurence a profité des "vacations judiciaires", les "vacances judiciaires" pendant lesquelles seuls les dossiers urgents sont jugés, souvent au moment des vacances scolaires, pour rattraper son retard. Résultat : trois piles de dossiers qui s'entassaient par terre en moins.
"Trois mois de retard". Mais "c'est sans fin", se désespère la greffière jointe par Europe1.fr au téléphone. Un vrai tonneau des Danaïdes. Laurence a trois mois de retard dans ses jugements. "Les plus urgents sont faits juste après les audiences, comme ceux avec des peines d'emprisonnement, car c'est le jugement qui vaut titre de détention. Mais les petits, les sursis, les relaxes, sont en attente", explique-t-elle. Et encore, elle s'estime plutôt pas trop mal lotie : "A Bobigny, ils ont plus de 2.700 jugements en attente d'être tapés !"
Le mouvement des greffiers, #DuRififiDansLesGreffes arrive à Boboche. Cc @Riiingmybellspic.twitter.com/4fM0QD2NlT— MaitreRenard (@_maitrerenard) 3 Avril 2014
"Indispensables". La région parisienne, c'est là que cette greffière a commencé sa carrière il y a dix ans, après une formation de 18 mois à l'Ecole nationale des Greffes, à Dijon. Désormais 800 kilomètres plus au sud, Laurence officie aux audiences pénales. "Les greffiers sont les garants de la procédure", explique-t-elle. Concrètement, "le juge s'occupe du fond du dossier et nous de la forme. Les greffiers sont indispensables, sans nous une procédure peut être annulée".
Son quotidien, "c'est la course toute la journée !", s'exclame la greffière. "Vérifier, noter, informer", pourrait être sa devise.
TGI Paris le 28 avril 2014 #DuRififiDansLesGreffespic.twitter.com/mux6vfb5li— Sandrine (@MiskamKSA) 28 Avril 2014
"Acter la procédure". Trois jours par semaine, Laurence est en audience, "de 8h30 à 14 ou 15 heures, sans pause". "Je note évidemment ce qui se dit, mais aussi tout le respect de la procédure pénale. En audience, tout un processus doit être respecté : le président doit constater l'identité du prévenu, donner lecture des faits reprochés, instruire le dossier, interroger la personne, entendre les parties, donner la parole au ministère public, à la défense et au prévenu en dernier. Moi, en tant que greffier, j'acte toute cette procédure pendant l'audience. Mais aussi tout ce qui se dit sur le fond du dossier et qui est indispensable à la détermination de la culpabilité, si le prévenu reconnaît les faits ou pas, et ce qui est nécessaire à la détermination du quantum de la peine. Je note des morceaux choisis, mais ce n'est pas un résumé puisque je note mot à mot, fautes grammaticales incluses."
"Vérifier les dossiers". Juste après l'audience, Laurence avale un sandwich et tape les jugements urgents avant de préparer les audience suivantes. C'est aussi l'essentiel de son travail les deux autres jours de la semaine. "Vérifier les dossiers, c'est 80% de mon activité. C'est un gros travail de procédure. Je regarde la décision qui renvoie la personne devant le tribunal : qui a rendu cette ordonnance de renvoi, de quand elle date, ce qu'on reproche au prévenu, si c'est la bonne date et le bon lieu, si on a bien mis le bon code d'infraction... Et si je me rends compte que, par exemple, on n'a convoqué le prévenu que pour un seul délit alors qu'on lui en reproche trois, il faut que je le signale au président du tribunal parce que ça peut être une cause d'irrégularité procédurale et empêcher la tenue du procès", détaille la greffière.
A Rennes aussi les greffiers sont en colère pic.twitter.com/gZ0rhVkNz2— Marie-Laure Combes (@MarieLaureC) 9 Avril 2014
Sollicitée de toutes parts. Mais difficile pour Laurence de travailler dans le calme. Elle est sans cesse sollicitée par les avocats ou les justiciables "qui viennent ou qui appellent pour avoir des informations sur les dossiers jugés le matin ou sur ceux qui le seront le lendemain". En plus de tout cela, Laurence doit assurer des permanences le week-end et les jours fériés. Des journées, parfois à rallonge, payées 40 euros, en plus de son salaire de 1.800 euros net par mois.
L'espoir. Une charge de travail que Laurence accepte néanmoins par amour de son métier et par sens du "service public", un mot qui revient souvent dans la conversation. Pourtant dans son service, il manque en permanence un greffier. "Nous ne somme que deux, au lieu de trois. Si jamais je suis malade, c'est mon collègue qui ira à mes audiences mais pour lui c'est une double journée de travail. Mais on nous promet un greffier en septembre...", espère-t-elle.
*le prénom a été changé.
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