Le parallèle ne semble pas évident à première vue. Et pourtant. Le juge antiterroriste Marc Trévidic a annoncé lundi étudier les similitudes entre l'assassinat du journaliste américain Daniel Pearl et l'attentat de Karachi en 2002. Dans les deux cas, des contrats d'armements auraient été en jeu. Europe1.fr fait le point sur les éléments posant question dans ces deux affaires.
Qu'est-il arrivé à Daniel Pearl ? Le 23 janvier 2002, le reporter du Wall Street Journal, Daniel Pearl, est enlevé à Karachi, au Pakistan. Le journaliste travaille alors sur Richard Reid, l'homme qui avait tenté de faire exploser sa chaussure piégée sur un vol transatlantique, un mois auparavant. Le 29 janvier, l'otage est décapité par ses ravisseurs, membres d'Al-Qaïda, selon les sources américaines de l'époque. L'exécution, filmée par une caméra, est diffusée sur Internet. Ce n'est qu'en mai que sa dépouille est retrouvée et rapatriée aux Etats-Unis.
Le 15 juillet 2002, Ahmed Omar Saeed Cheikh et trois autres suspects sont reconnus coupables de l'enlèvement et du meurtre de Daniel Pearl au Pakistan. Ahmed Omar Cheikh, lui, est condamné à la peine de mort au Pakistan. Il est aujourd'hui emprisonné à Guantanamo, aux Etats-Unis.
Qu'en est-il de l'attentat de Karachi ? Le 8 mai 2002, un attentat à la voiture piégée vise un autobus transportant des ingénieurs de la Direction des constructions navales (DCN). Quinze personnes sont tuées, dont 11 Français travaillant à la construction de sous-marins à Karachi. Là encore, la piste islamiste est d'abord privilégiée.
Des contrats d'armement évoqués dans les deux affaires. Lors de l'enlèvement de Daniel Pearl, ses ravisseurs ont envoyé deux courriels aux autorités américaines exigeant la livraison d'avions de combat F-16 promise dans un contrat signé avec le Pakistan en 1990. Des mails depuis authentifiés par les enquêteurs américains selon les résultats des commissions rogatoires lancées aux Etats-Unis par le juge français Marc Trévidic.
Or, le non-respect d'un contrat d'armement serait également le point de départ de l'attentat de Karachi. C'est en tout cas, la piste explorée par le juge parisien depuis la reprise du dossier au juge d'instruction chargé de l'enquête jusqu'en 2007, Jean-Louis Bruguière. Loin de la piste islamiste, Marc Trévidic évoque contentieux franco-pakistanais lié à l'arrêt, en 1995, d'un versement de commissions par la France en marge du contrat sur la vente de sous-marins.
Deux juges du pôle financier de Paris tentent de leur côté de vérifier si ces contrats conclus en 1994 ont généré des rétrocommissions qui auraient pu contribuer au financement illicite de la campagne d'Edouard Balladur pour la présidentielle de 1995.
Dans les deux affaires, il s'agirait donc de représailles pour le non-respect de contrat d'armements.
Sur quoi se base le juge Trévidic ? Le rapport "Nautilus" rédigé pour la DCN en 2008 par un ancien agent de la DST, Claude Thevenet. Il y évoquait alors le "contrat des F-16 gelé" par Washington et considérait que l'assassinat du journaliste avait pu "constituer un avertissement" pour que la France honore le versement de commissions prévues par le contrat d'armement Agosta avec le Pakistan en 1994, et gelées en 1996.
Le juge Trévidic a également fait auditionner en février Ahmed Omar Cheikh aux Etats-Unis. L'homme, détenu à Guantanamo et qui pourrait être un agent de l'ISI, le service secret pakistanais, a authentifié les mails envoyés lors de l'enlèvement de Daniel Pearl. Al-Qaïda ne serait donc pas en cause, comme l'affirme le Nautilus. L'enquête sur l'assassinat de Daniel Pearl a d'ailleurs été rouverte il y a quelques mois.
Et maintenant ? Pour Me Olivier Morice, l'un des avocats des familles, les derniers éléments récupérés par le juge Trévidic viennent "crédibiliser" le rapport Nautilus. Dans les deux cas, selon lui, "les personnes présentées comme auteurs de l'assassinat et de l'attentat" sont "innocentes". Des islamistes condamnés à mort initialement pour l'attentat de Karachi ont en effet été blanchis en appel au Pakistan. Me Morice s'est étonné que les responsables de la DST, aient toujours affirmé n'avoir eu connaissance "à aucun moment" d'un lien entre l'enlèvement de Daniel Pearl et le contrat des F-16. "Or cette revendication a eu lieu", note l'avocat. De même pour la DST, "les accusations, sous-entendues dans le rapport Nautilus n'étaient pas sérieuses", selon Me Morice qui voit "une similitude très intéressante dans les deux dossiers".
Islamistes, services secrets pakistanais, même combats ? Les liens sont soupçonnés de longue date. Dans le conflit avec l'Inde dans la province du Cachemire, les services secrets pakistanais utiliseraient notamment les islamistes. Sans oublier, la mort d'Oussama Ben Laden. En mai 2011, le numéro 1 d'Al-Qaïda a été tué dans sa résidence d'Abbottabad, "capitale" de l'armée et des services spéciaux du Pakistan.