Le texte a été voté en toute discrétion. Dans un hémicycle presque vide, l’Assemblée nationale a adopté mercredi la proposition de loi sur la protection de l’identité. Un texte qui prévoit entre autres l’instauration d’un "fichier des honnêtes gens" comme l’a surnommé François Pillet, le rapporteur UMP de la proposition de loi au Sénat.
Ce fichier vise officiellement à lutter contre l’usurpation d’identité. A terme, il pourrait concerner entre 45 à 60 millions de Français. A l’exception de l’Espagne, la France est le seul pays à centraliser sur un seul et même fichier les données biométriques des individus. Europe1.fr résume les enjeux de la constitution d’un tel fichier.
Quels types d'informations recueille ce fichier ?Le texte de loi prévoit la création d’une nouvelle carte d’identité nationale qui comprendra deux puces électroniques. L’une contenant des données biométriques telles que le nom, le prénom, le sexe, la date et le lieu de naissance, l’adresse, la taille et la couleur des yeux, les empreintes digitales et photographiques. La seconde, optionnelle, propose aux internautes de fournir leur signature électronique pour qu’ils puissent s’identifier sur des sites commerciaux ou administratifs
Où seront conservées ces informations ? Ces données seront centralisées au sein de la base des titres électroniques sécurisés (Tes), rapporte Mediapart. Auparavant, de telles informations étaient stockées sous leur version papier dans les préfectures.
Combien de personnes sont concernées ? Toute personne faisant une demande de carte d’identité biométrique sera recensée dans ce fichier d’envergure nationale. Un fichier qui comptera "à terme 45 millions d’entrées, soit le plus grand fichier de France !", s'exclamait le député PS de Paris, Serge Blisko, lors d’une précédente interview accordée à 01net.
A quoi va servir ce fichier ? Officiellement, il s’agit de lutter contre l’usurpation d’identité qui concernerait près de 21.000 personnes par an. Un chiffre contesté puisque selon le dernier rapport de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), le nombre de faux documents d’identité oscille entre 6.000 et 10.000 par an, rapporte Owni.
En plus de l’usurpation d’identité, le texte de loi englobe une quinzaine d’autres infractions comme le faux et l’usage de faux, l’atteinte aux services de renseignements, la mention d’une fausse adresse ou encore aux fraudes dans les transports en commun.
Dans quels cas les fichiers peuvent-ils être consultés ? Le fichier sera mis à disposition des policiers dans trois cas bien particuliers : pour procéder à des vérifications lors de la délivrance ou du renouvellement d’une carte d’identité, pour l’identification de victimes d’accidents ou de catastrophes naturelles, et enfin dans certains cas de fraudes à l'identité.
Le site Owni précise toutefois que la loi peut être modifiée à l’avenir pour élargir les conditions d’utilisation du fichier. Cela a notamment été le cas en 1998 lors de l’instauration du fichier national des empreintes génétiques (Fnaeg) pour lutter contre les auteurs d’infractions sexuelles. Par la suite, les conditions d’exploitations des données avaient été élargies à une grande partie des infractions du Xode pénal.
quelles sont les dérives possibles ? Selon Jean-Marc Mannach, journaliste et auteur de La vie privée, un problème de vieux cons ?, ce fichier qui vise à lutter contre l’usurpation d’identité pourrait au contraire faciliter les fraudes. N’importe qui peut en effet faire une demande de carte d’identité biométrique sous le nom d’une autre personne, si cette dernière n’a pas encore pris la peine de s’identifier dans le fichier des gens honnêtes.
"Au vu du nombre de faux profils de Nicolas Sarkozy créés sur Facebook ou Twitter notamment, il n'est donc pas exclu que celui qui sera fiché, en premier, comme le Nicolas ‘honnête gens’ Sarkozy, ne soit donc pas forcément le ‘vrai’ Nicolas Sarkozy", explique Jean-Marc Manach sur LeMonde.fr.
Quelles sont les réactions dans la classe politique ? L’opposition craint que ce fichier ne soit utilisé à des fins d’investigations absolument pas en lien avec l’usurpation d’identité. "Vous profitez de ce fait délictueux, Monsieur le ministre, pour réaliser le vieux rêve de la place Beauvau : créer un grand fichier biométrique de plusieurs millions de Français !", a lancé mercredi le député PS Serge Blisko au ministre de l’Intérieur.
En juillet dernier, Serge Blisko avait rappelé que ce genre de fichier avait déjà été mis en place dans le passé. "Monsieur le ministre, j’ai le regret de rappeler que la France n’a créé qu’une seule fois un fichier général de la population, c’était en 1940. Il fut d’ailleurs détruit à la Libération", avait-il déploré.
La sénatrice PS Virginie Klès, a dénoncé sur France Culture une loi qui porte atteinte aux libertés individuelles. "C’est une chose que d’être fiché, c’est une autre chose que d’être tracée, même en ayant rien à se reprocher", déplore la sénatrice. Cette dernière évoque une omerta et appelle les citoyens à réagir. "Il faut que les citoyens se réveillent. Il y a une espèce d’omerta on n’en parle pas. Je suppose qu’il y a des intérêts financiers importants. Mais les libertés individuelles doivent aller au delà des intérêts financiers", commente-t-elle.