Les praticiens auront-ils prochainement rendez-vous devant la justice dans le cadre de l’affaire du Mediator ? Les laboratoires Servier, qui ont commercialisé ce médicament contre le diabète mais souvent prescrit comme coupe-faim, pourraient attaquer à leur tour les médecins. C’est en tout cas ce que croit savoir Libération dans son édition de jeudi.
Le journal met en avant notamment le cas d’une endocrinologue du Rhône. Ce médecin aurait prescrit du Mediator à l'une de ses patientes "pour le traitement de son obésité". Elle est aujourd’hui atteinte de valvulopathie. Ce problème cardiaque serait dû, selon l’analyse des experts de la Commission régionale de conciliation et d’indemnisation, à la prise du Mediator.
La responsabilité d’un médecin en cause
Dans ce cas précis, les laboratoires Servier, via leur avocate Me Nathalie Carrère, auraient adressé à la Commission un courrier - que s’est procuré Libération - et qui met en cause directement la praticienne. Dans cette lettre, le groupe pharmaceutique demande de "conclure à la responsabilité" de l’endocrinologue.
Servier explique que le Mediator a obtenu son autorisation de mise sur le marché (AMM) pour soigner le diabète ou encore l’hypertriglycéridémie. Or, développe le laboratoire, la prescription "hors AMM du Médiator" dans ce cas est "exclusive de toute responsabilité de la société". Et de juger qu’"en prescrivant le médicament en vue d’un résultat thérapeutique qui n'était pas prévu dans les indications réglementaires de celui-ci, le Dr a commis une faute en lien causal avec le dommage".
Servier dément officiellement
Jeudi matin, les laboratoires Servier joints par Europe 1 ont formellement démenti toute volonté de reporter la responsabilité sur les médecins. Dans un communiqué, "les Laboratoires Servier confirment qu’ils n’ont jamais appelé en justice un médecin dans une procédure concernant le Mediator, ni dans d’autres procédures concernant d’autres produits".
Mais le groupe pharmaceutique a précisé : "les médecins impliqués dans les procédures concernant le Mediator l’ont été à l’initiative des patients et de leurs conseils ou d’autres parties appelées à la cause, comme l’Oniam". Et Servier de préciser : "dans le cas cité" par Libération, "le médecin a été impliqué dans la procédure à la demande de la patiente".
Servier responsable de ces prescriptions ?
Le Mediator a été utilisé comme coupe-faim dans 77% des prescriptions concernées, note une récente étude de l’Anses. Mais, selon l’avocate d’une cinquantaine de victimes de ce médicament interrogée par Europe 1, ces prescriptions se sont avérées plus massives "à partir de 2003". Et Me Christine Ravaz de conclure : "il y a dû forcement avoir une forte pression de Servier (les visiteurs médicaux, ndlr) sur le médecin notamment indiquant que le Mediator faisait maigrir".
Ce que confirme Me Charles Joseph-Oudin, un avocat qui a lancé un appel aux médecins pour témoigner que Servier les a "trompés". Il affirme que plusieurs praticiens lui ont confié "que les visiteurs médicaux de Servier leur présentaient le Mediator comme un coupe-faim", selon ses propos rapportés par Libération.
Les craintes des médecins
Une possible mise en cause des médecins dans l’affaire du Mediator est crainte par la profession, comme l’a confirmé à Libération l’avocate du syndicat de généralistes MG France. "Il y a une inquiétude", a confié Me Carole Younes. Preuve en est : certains médecins refusent de donner à leurs patients leur dossier pour leur permettre de porter plainte. Mais le président du syndicat a tenu à rappeler, sur Europe 1, que "dans cette affaire-là, il ne faut pas oublier qu'il y a toute une chaîne. Et au bout de cette chaîne, il y a le prescripteur qui est le médecin qui doit assumer et aider les patients à obtenir réparation et qui se sent mal à l'aise lorsqu'il a été prescripteur du produit", a-t-il tenu à rappeler.
Le Docteur Claude Leicher a d'ailleurs précisé qu'il ne fallait, en aucun cas, que cette inquiétude conduise les médecins à ne pas donner leurs ordonnances. "Je crois que c'est une erreur". Et d'ajouter : "je crois qu'aujourd'hui il est temps que les médecins aident les patients en disant : 'oui, je vous ai prescrit ce produit. Oui, c'était un produit dangereux. Oui, je vais vous aider à obtenir réparation par rapport au fabricant du produit'".