"Je crains que nous n'ayons à subir encore d'autres images". La phrase de Manuel Valls, lâchée jeudi devant la commission des Lois de l'Assemblée nationale, est brève. Mais elle risque de réveiller l'inquiétude des familles de victimes de Mohamed Merah, qui ont déjà eu à subir des enregistrements de conversations entre la police et le tueur de Toulouse, diffusés dimanche par TF1.
Des extraits destinés aux services d'enquête
"J'ai été fortement choqué par la diffusion d'images et d'enregistrements sonores qui ont heurté les victimes et offert une tribune à un assassin terroriste. Mais je crains que nous n'ayons à subir encore d'autres images ", a regretté le ministre devant les élus.
La diffusion par TF1 des extraits de discussions entre le tueur au scooter et la police qui l'assiégeait a suscité la colère des familles des victimes, la chaîne se justifiant en mettant en avant leur valeur informative. Le parquet de Paris a même décidé mercredi l'ouverture d'une information judiciaire contre X pour violation du secret de l'instruction, violation du secret professionnel et recel, à la suite de la diffusion de ce document.
Ces extraits, dont on ignore encore qui est à l'origine de la fuite, avait été enregistré par les membres du Raid lors de l'assaut de l'appartement de Merah. Ils étaient destinés exclusivement aux différents services d'enquête concernés.
Mais ils ne seraient pas les seuls à se balader dans la nature, selon plusieurs sources. Ce qui ferait craindre à Manuel Valls d'autres diffusions.
La vidéo "différente" de l'avocate du père de Merah
L'avocate algérienne du père de Mohamed Merah, Me Zahia Mokhtari, devait par exemple se rendre à Paris jeudi soir pour remettre à la justice française des preuves qu'elle dit détenir, dont des vidéos qui auraient été filmées par le tueur et envoyées à son père. L'avocate a toutefois déclaré jeudi à Alger qu'elle ne remettrait pas "pour le moment" à la justice les vidéos, les "mettant de côté".
Selon une transcription de ces enregistrements, publiée début juin sur le site du journal algérien Echorouk, le "tueur au scooter" aurait affirmé avoir découvert, durant le siège de son appartement, qu'un homme qu'il croyait être son ami était en fait un agent des services français qui l'aurait manipulé. "Je suis innocent. Je découvre que mon meilleur ami Zouheir travaille pour les services secrets français. Tu m'as envoyé en Irak, au Pakistan et en Syrie pour aider les musulmans. Et tu te révèles finalement un criminel et un capitaine des services français. Je n'aurai jamais cru ça. Vous allez me tuer sans aucune raison. C'est vous qui m'avez entraîné dans cette situation ", y clamerait Mohamed Merah.
Pour Me Zahia Mokhtari, ces enregistrements diffèrent totalement dans le ton et les propos de ceux diffusés par TF1. Selon elle, Mohamed Merah "aurait pu être maîtrisé par les hommes du Raid" lors de l’assaut, au lieu de le "liquider pour qu’il ne parle pas". "Il y a une différence dans la voix et une différence de contenu entre nos vidéos et celle de TF1. Dans nos vidéos, il hurlait, il était en train de pleurer parfois, il s’en prenait à ce Zouheir, qu’il accuse de l’avoir trahi. Alors que sur l’audio de TF1, il est calme, posé", explique l’avocate depuis Alger selon des propos rapportés par le Parisien.
L'existence de ces vidéos de Me Zahia Mokhtari est toutefois fortement contestée par la justice et les autorités françaises, qui assurent que Merah n'avait aucun téléphone ni aucun autre moyen de filmer et envoyer des vidéos lors de l'assaut.
Des films de Merah lui-même ?
Mais même si l'avocate du père a raison et que ces vidéos existent, d'autres extraits bien plus sensibles pourraient circuler. Car il faut rappeler que Mohamed Merah disposait d'une caméra lors de sa cavale meurtrière. Selon le procureur de la République de Paris, l'auteur de la tuerie de Toulouse avait en effet indiqué avant sa mort avoir posté sur Internet les vidéos des trois scènes de crime à Montauban et dans la ville rose. Personne ne les a pour le moment diffusées, mais si le tueur a dit vrai, quelqu'un risque un jour de mettre la main dessus.
Mais si personne ne les a pour le moment diffusées, au moins un média les a déjà en sa possession. La chaine Al-Jazira avait affirmé en mars avoir reçu une lettre signée "Al-Qaïda", contenant rien de moins que le film de l’intégralité des assassinats de Toulouse et Montauban. Des films que le parquet de Paris a pu visualiser. La chaîne qatarie avait cependant annoncé qu'elle ne diffuserait pas les images.
Les propos de Manuel Valls sont toutefois à relativiser. Car l'essentiel de ses informations lui viendraient pour l'instant de… la presse. Selon le Canard enchainé en effet, le ministre attendrait toujours d’obtenir, de la part des services de renseignement, tous les dossiers sur l'affaire Merah. Et notamment les notes classées "secret-défense". Le ministre de l’Intérieur les réclamerait même depuis un mois. "Soit ils n’ont rien, et c’est grave. Soit ils veulent cacher quelque chose et c’est encore plus grave", s'énerve d'ailleurs un haut fonctionnaire de la place Beauvau, contacté par le journal satirique.