Le manque de moyens de l'armée française a-t-il mis en péril l'opération de sauvetage des deux otages français, enlevés au Niger en janvier 2011 et tués lors d'une tentative de libération ? Deux témoignages révélés vendredi mettent en cause les forces spéciales françaises.
Un seul otage exécuté par les terroristes
Un juge anti-terroriste français a interrogé en Mauritanie un membre de l'organisation islamiste armée Aqmi, révèle Libération. Mohamed al-Amine ould Mohamedou ould M'Balle, alias Mouawiya, n'a pas participé à l'enlèvement d'Antoine de Léocour et Vincent Delory, mais en a entendu le récit fait quelques heures plus tard par des membres du commando jihadiste. Ces derniers avaient survécu à l'attaque des forces spéciales françaises qui tentaient de libérer les deux jeunes Français.
Selon Mouawiya, des ravisseurs ont raconté que l'un d'entre eux avait abattu Antoine de Léocour de plusieurs balles de kalachnikov parce qu'il le retardait dans leur fuite à pieds dans le désert, juste après l'attaque par les commandos français. Il assure aussi que Vincent Delory a péri brûlé dans le 4x4, qui transportait de l'essence, à la suite des tirs qui l'ont touché. Les membres du commando de ravisseurs ont assuré après l'opération qu'ils n'avaient pas exécuté ce deuxième otage.
Libération s'est également procuré le PV de l'audition en tant que témoin, le 16 décembre, du commandant du Commandement des opérations spéciales (COS), le général Frédéric Beth.Celui-ci livre peu de détails et surtout n'apporte pas d'éléments nouveaux sur une question toujours en suspens : comment a pris feu le 4x4 ? La famille de Vincent Delory, elle, accuse les forces françaises d'avoir ouvert le feu sur le véhicule dans lequel il se trouvait, provoquant sa mort. Le film de l'opération, tourné depuis un avion, a été amputé d'une minute : celle au cours de laquelle le 4x4 prend feu.
Les soldats français mal équipés ?
La soeur de Vincent Delory a par ailleurs accusé, sur France Inter, les forces spéciales d'avoir été contraintes de se replier plus vite que prévu, faute de gilets pare-balles. Les soldats français n'auraient ainsi pas tout mis en oeuvre pour sauver les otages, dit-elle.
"Les militaires étaient à une cinquantaine de mètres du véhicules dans lequel se trouvait mon frère. A un moment donné, ils ont eu un blessé parmi eux et l'ensemble du groupe s'est replié. Personne ne va vers les véhicule pour récupérer mon frère alors que, pour nous, il était encore vivant à ce moment-là", a dénoncé Annabelle Delory. Le corps de son frère Vincent sera récupéré une demi-heure plus tard par un autre groupe de soldats. Dans l'intervalle, le 4x4 dans lequel il se trouvait a explosé.
Frank Berton, l'avocat de la famille de Vincent Delory, souhaite donc désormais élargir le champ de l'enquête des juges d'instruction pour déterminer les circonstances de son décès. "Ils expliquent comment l’armée française a tiré dans tous les sens, comment le 4x4 a brulé et comment ils ont vu à l’intérieur du 4x4 Vincent Delory brûler", insiste l'avocat de la famille Delory sur Europe 1.
"L’armée française savait très bien que Vincent Delory, en tout cas les otages, étaient à l’intérieur de ce 4x4. Ce n’est pas quelque chose qu’ils ignoraient", martèle Me Berton. "Encore une fois, qu’est-ce qu’on cherchait à faire ? Libérer les deux otages français? Ou est-ce qu’on cherchait à réaliser une opération militaire d’envergure simplement pour faire impression sur d’eventuels preneurs d’otages futurs ou en tout cas ceux qui étaient visés dans cette opération ?", s'interroge l'avocat.
"L'armée savait que Vincent Delory était à l'intérieur du 4x4" :
Me Berton réclame en outre la totalité de l'enregistrement de l'opération, filmée par un avion de surveillance. Le film a été amputé d'une minute, celle au cours de laquelle le 4x4 prend feu. Le ministère de la Défense a indiqué, le 9 décembre dans une lettre, que cette coupe avait pour but de "ne pas révéler (...) certains détails opérationnels".