Claude Guéant l’a indiqué mardi sur Europe 1 : l’auteur de la tuerie de Toulouse aurait porté, selon un témoin, une caméra "sur la poitrine, sanglée". A Montauban, d’autres personnes ont aussi cru voir une caméra, cette fois sur le casque que portait le tireur. Prudent, le procureur de la République de Paris, François Molins, a déclaré mardi ne pas avoir la "certitude" qu'il s'agissait d'une caméra, évoquant seulement une "sorte de bandeau". La présence éventuelle de cet appareil, abordable et plutôt courant, laisse penser que le tueur aurait peut-être pu filmer ses actes, ce qui serait, pour le ministre de l’Intérieur, "de nature à conforter le profil psychologique de l’assassin".
C’est ce que confirment les experts interrogés par Europe1.fr, pour qui l’utilisation d’une caméra pourrait aussi aussi la personnalité du tueur. "Qu’il ait une caméra ou qu’il prenne des photos, cela participe à l’image qu’il veut renvoyer de toute puissance", analyse Stéphane Bourgoin, criminologue. Pour ce spécialiste des tueurs en série, le tueur de Montauban et de Toulouse est un cas "assez spécifique", un "serial sniper".
"Être l’égal de Dieu"
Contrairement à d’autres tueurs ayant sévi en France, il n’est pas animé par des mobiles sexuels. Ce qu’il cherche : "être l’égal de Dieu", en décidant de la vie et de la mort de ses victimes. Ce véritable "psychopathe", qui n’est pas un "malade mental", "jouit de la résonance de ses actes" dans les médias, affirme Stéphane Bourgoin.
Si le tueur de Toulouse et Montauban a bien filmé ses actes, que peut-il vouloir faire de ces images ? Pour Michèle Agrapart-Delmas, criminologue, auteur de L’analyse criminelle, il peut "les garder pour lui" et "prendre du plaisir à les regarder". S’il décide de les diffuser, ce sera dans une optique "exhibitionniste, pour choquer les autres", relève la criminologue.
Un outil de "revendication"
L’ancien gendarme devenu enquêteur privé Jean-François Abgrall, qui a notamment participé à la traque du tueur en série Francis Heaulme, affirme quant à lui que de telles images peuvent servir d’ "outil de revendication", notamment sur Internet. La raison : "le tueur a envie qu’on reconnaisse son acte". "L’image, c’est pour atteindre les autres et ceux qui pourraient comprendre son message", assure ce psychocriminologue. Mardi matin, Claude Guéant a toutefois déclaré qu’ "à sa connaissance", ces images n’avaient pas été diffusées.
Jean-François Abgrall évoque aussi une autre piste qui fait froid dans le dos : ces films pourraient être utilisés par le tueur à des fins de "formation", afin de repérer d’éventuelles erreurs et de "tirer de l’expérience de ce qui a été réalisé". Dans la perspective, glaçante, de s’améliorer pour recommencer.
Pas un phénomène inconnu
La captation des images d’un crime ou d’un délit n’est pas un phénomène inconnu. De tels dispositifs sont monnaie courante dans les "crimes sexuels", explique Michèle Agrapart-Delmas. Certains chauffards aiment aussi filmer leurs "exploits" et, parfois, les diffuser sur Internet.
En témoigne le cas de ce chauffard condamné à un an de prison ferme le 16 février dernier, rapporte France TV Info. Cet homme avait été repéré par les gendarmes après avoir posté des vidéos dans lesquelles on le voyait rouler à 310 km/h, sans permis, sur une route départementale des Deux-Sèvres.
En 2006, un jeune homme qui avait filmé, en 2006, l’agression, par l’un de ses amis, d’une enseignante d’un lycée de Porcheville, dans les Yvelines, a écopé de six mois de prison ferme. La vidéo, filmée avec un téléphone portable, avait circulé dans un quartier de Mantes-la-Jolie, d’où il était originaire, rappelle L'Express.
"Outil d'aujourd'hui"
Pour Jean-François Abgrall, le fait d’utiliser une caméra, "outil d’aujourd’hui", est aussi une question d’époque. Les criminels s’approprient finalement une pratique "dans l’air du temps", estime-t-il.
Dans les annales judiciaires, on retrouve également le cas du célèbre "cannibale de Rotenbourg". En Allemagne en 2001, Armin Meiwes avait filmé le découpage d’une victime consentante qu’il avait ensuite mangée, en 2001. Mais il s’agissait là d’un homme assouvissant un fantasme, et non du tueur froid au profil de "psychopathe" décrit par Stéphane Bourgoin.
Breivik voulait se filmer
S’il est avéré que le tueur de Toulouse a bien filmé ses actes, ce serait a priori inédit pour un criminel de ce type. L’extrémiste norvégien Anders Behring Breivik, avait bien eu "l’intention de filmer" la tuerie d’Oslo du 22 juillet 2011, rappelle à l’Agence France-Presse l’un des responsables de l’enquête mardi, Paal-Fredrik Hjort Kraby. "Mais nous n’avons jamais trouvé de caméra nulle part".
"On sait qu’il en avait une puisqu’on l’a vue sur des photos et qu’il en a confirmé l’existence", affirme Paal-Fredrik Hjort Kraby, précisant que Breivik aurait laissé l’objet "dans le véhicule utilisé pour commettre l’attentat à la bombe contre le siège du gouvernement", dans le centre-ville d’Oslo, avant de poursuivre son massacre sur l’île d’Utoeya.
Anders Breivik évoquait en effet dans son "manifeste" l’existence d’une caméra qu’il voulait utiliser pour se filmer. Dans ce document de 1.500 pages, il va jusqu’à donner la marque de l’appareil, une caméra numérique AEE P80 et conseille d’envoyer la carte mémoire par courrier à des rédactions, rappelle La Tribune de Genève.