On l'annonçait comble, mais la première chambre du tribunal correctionnel de Paris, théâtre du procès Chirac, a semblé bien dépeuplée jeudi, en l'absence du principal acteur de la journée. Attendu à la barre, Alain Juppé ne s'est en effet pas présenté. Le ministre des Affaires étrangères était du voyage en Libye, en compagnie de Nicolas Sarkozy, du Premier ministre britannique David Cameron. il n'a donc pas pu apporter son témoignage sur le volet dit "de Nanterre" de l'affaire des emplois fictifs de la Ville de Paris, volet pour lequel il avait été condamné en 2005 en appel à 14 mois de prison avec sursis et un an d'inéligibilité.
"Lâcheté" contre "grotesque et ridicule"
Cette absence a été l'occasion d'un échange assez vif entre avocats. D'un côté, Me Karsenti, représentant d'Anticor, seule partie civile présente au procès, puisque la mairie de Paris s'est retirée après un accord avec Jacques Chirac et l'UMP. "Nous constatons l'absence d'Alain Juppé, de laquelle nous avons été informé ce matin (jeudi). Il s'agit d'une injure, et je pèse mes mots. Et c'est la manifestation d'une lâcheté visant à éviter la confrontation avec Anticor", a attaqué l'avocat de l'association anti-corruption. "Nous sommes tous, au-delà du fond, extrêmement choqués sur la forme par l'attitude d'Alain Juppé.
De l'autre côté, Me Szpiner, ténor du barreau et défenseur, entre autres personnalités publiques, d'Alain Juppé. L'avocat, qui avait ouvert les débats en présentant au tribunal une lettre de son client, a alors tenu à reprendre la parole. "M. Juppé ne s'est jamais dérobé à la justice. Le terme de lâcheté me paraît déplacé", s'est emporté l'avocat. "La partie civile, la vraie, a été remboursée intégralement. Mon client était prêt à venir. Il est grotesque et ridicule de penser que le voyage présidentiel a été organisé uniquement pour soustraire M. Juppé à cette audience."
"J’espère ne pas avoir été trop laborieux"
Après cet échange des plus vifs, Me Veil, l'un des avocats de Jacques Chirac, a soulevé la question que tout le monde attendait : celle de la pertinence reconvoquer le ministre ultérieurement, sachant que l'agenda du procès est déjà serré. Après plusieurs minutes de suspension de séance, afin de trancher, le tribunal a finalement décidé de ne pas entendre du tout Alain Juppé. Et de se contenter des déclarations du ministre devant les enquêteurs et devant la cour d'appel de Versailles en 2005.
Pendant près de deux heures, Dominique Pauthe s'est donc livré à un long exposé des dépositions et témoignages des prévenus et témoins de ce procès vieux de quatre ans. Fastidieux, mais indispensable, dans la mesure où le jugement rendu par la cour d'appel de Versailles, s'il condamnait Alain Juppé, ne concernait pas Jacques Chirac, dont le cas a été désolidarisé du dossier. Tous les éléments lus par le président du tribunal sont donc susceptibles d'être retenus contre l'ancien président de la République lors du jugement à venir.
"J'espère ne pas avoir été trop laborieux", s'est ensuite excusé Dominique Pauthe. Puis le président du tribunal, visiblement désabusé face à l'absence du principal prévenu, de la principale partie civile, et désormais du principal témoin, a conclu dans un sourire : "Mais enfin, on fait avec ce qu'on a…"