C'est un type d'affaire presque inconnu des tribunaux français. Le "revenge porn", dont la pratique consiste à publier des photos ou des vidéos compromettantes de son ex sur Internet après une rupture mal digérée, débarque en France… Et devant les tribunaux. Mais, quand ces pratiques vengeresses donnent lieu à des procès - ce qui est rarement le cas - la justice tâtonne. Alors quelles lois encadrent ces pratiques ? Pourquoi les condamnations varient-elles autant ? Comment le droit peut-il être renforcé ? Éléments de réponse.
Le "revenge porn" en France.Venue des Etats-Unis, cette pratique vise clairement à ruiner la réputation de son ancien partenaire livrant à tous les internautes son identité, son adresse, son âge et parfois même l'identité de son employeur. Alors qu'il existe de nombreux sites spécialisés outre-Atlantique, en France, le "revenge porn" prend souvent une autre forme : les photos ou vidéos compromettantes sont envoyées à des proches, postées sur Facebook, publiées sur des sites de rencontres classiques ou diffusées sur des sites spécialisés dans le porno amateur. Autant de sources qui compliquent le travail de la justice.
Que dit la loi ? Mais une loi permet toutefois d'intervenir pour condamner les amoureux éconduits. "L'article 226-1 du Code pénal, qui concerne l'atteinte au droit à l'image et à la vie privée, correspond assez bien à notre situation", commente Me Jean-Pierre Ribaut-Pasqualini, qui a écrit récemment un billet de blog sur le sujet. Ce texte de loi dispose en effet que "le fait de fixer, d'enregistrer et de transmettre, sans le consentement de la personne, l'image de celle-ci, se trouvant dans un lieu privé" est un motif de condamnation.
"Aujourd'hui, cette loi colle assez parfaitement à la situation la plus générale dans ce genre d'infraction. Dans la majorité des cas, on a en effet une personne, dont l'image est fixée, et qui se trouve dans un lieu privé. Cette loi est donc appropriée pour les compagnons qui décident de mettre en ligne des vidéos ou images de leur ancienne campagne", détaille Me Ribaut-Pasqualini. Et si le délit est constitué, l'auteur des faits encourt jusqu'à un an d'emprisonnement et 45.000 euros d'amende.
Des condamnations au cas par cas. C'est justement la peine à laquelle a été condamné un messin de 35 ans début avril. L'homme a écopé de 12 mois de prison avec sursis, pour avoir diffusé sur Facebook, sur un Skyblog et des sites de rencontres des photos de son ancienne compagne dans des postures explicites. Le nom de l'enseignante et son adresse avaient également été mentionnés par l'ex-compagnon indélicat. Le tribunal correctionnel a par ailleurs assorti sa décision d'une obligation d'indemniser la victime. Un mois plus tôt, dans la Manche, un homme avait, lui, été condamné à six mois de prison avec sursis et 2.500 euros d'amende pour avoir diffusé la vidéo de ses ébats avec son ex sur un site gratuit de vidéos pornographiques, rappelle 20 Minutes.
Mais, en l'absence de directive de la Chancellerie, chaque juge traite au cas par cas. Souhaitant se venger de sa compagne qui était partie dans les bras d'un autre, un homme a publié une vidéo compromettante de son couple sur la page Facebook du nouveau compagnon. Sur les images tournées dans un lieu public, à Bart, on voyait la jeune femme prodiguer une fellation à son compagnon. Dans ce cas précis, un tribunal du Doubs a relaxé l'amoureux éconduit.
Pourquoi de telles différences dans les condamnations ? Me Ribaut-Pasqualini l'explique de deux manières. D'abord, la notion de "non consentement" est difficile à établir en ce qui concerne la fixation et l'enregistrement des images. Bien souvent, les femmes sont en effet au courant qu'elles sont photographiées ou filmées. L'absence de consentement porte donc sur la transmission et la mise en ligne des images par l'amoureux éconduit. "La difficulté, c'est de dire : est-ce-que le consentement pour la fixation et l'enregistrement suffit à éliminer la nécessité d'un consentement pour la phase de transmission ? D'autant plus, qu'aujourd'hui, quand on prend une photo, on se doute bien de la potentialité que ça se retrouve en ligne à un moment ou un autre. C'est d'ailleurs ce que font valoir les personnes poursuivies", précise l'avocat. Mais il semble que les juges ne soient pas du même avis sur cette question.
Le cas particulier des scènes filmées dans un lieu public. "Cet article de loi protège la personne seulement si l'image a été prise dans un lieu privé. D’où, la question de savoir : qu'est-ce-qui passe quand on n'est pas dans un lieu privé ? Mais dans un parc, dans la nature, dans un champ, dans une forêt, etc. Dans ces cas précis, on n'est plus dans un lieu privé, il y a donc une absence de protection pour la personne se retrouve sur Internet contre son gré", explique le conseil.
Et de résumer : "pour l'instant, on se contente d'utiliser un article général qui colle bien. Mais, on va forcément tomber dans des exceptions. Et là, ce serait plus problématique puisqu'on se retrouve avec des cas de victime qui ont obtenu réparation de la justice, et d'autres pas".
Vers un renforcement de la loi ? Alors faut-il mettre en place une nouvelle loi pour permettre de protéger également les victimes qui se trouvaient dans des lieux publics ? Les avocats spécialisés dans la propriété intellectuelle estiment que la loi sur l'atteinte au droit à l'image et la vie privée est plutôt efficace. "Il n'y a pas besoin de punir davantage, on dispose de toutes les lois nécessaires pour intervenir", estime Me Matthieu Cordelier, avocat spécialisé dans la propriété intellectuelle et l'e-reputation.
Un avis que ne partage pas Me Ribaut-Pasqualini qui juge nécessaire de mettre en place un dispositif législatif mieux adapté aux problématiques liées à Internet. "Il faudrait peut-être ajouter un troisième alinéa à la loi 226-1, pour qu'elle colle mieux à cette situation. L'idée serait de gommer la spécificité sur le lieu privé et viser plus spécifiquement le caractère dénudé ou l'attitude sexuelle", préconise l'avocat.
Une charte de bonne conduite au niveau européen ? "Il serait pertinent de mettre en place un dispositif européen d'effacement de contenus. Cette 'charte de bonne conduite' à la suppression des contenus apporterait ainsi un cadre législatif aux dérives, comme le "revenge porn", et pourrait englober d'autres problématiques liées à Internet", avance Me Cordelier.
Des femmes humiliées qui gardent le silence. Une mesure qui permettrait ainsi de contrer l'augmentation exponentielle de ce genre de pratique. "Je parie que ce genre de sujet, qui touche le sexe et Internet va nécessairement attirer l'attention des députés", anticipe Me Ribaut-Pasqualini. Mais pour Me Cordelier ce changement législatif doit s'accompagner d'un changement des mentalités des parquets. "Il y a une absence de volonté des parquets de poursuivre pénalement. Ils estiment que ce sont des atteintes mineures et classent les affaires sans suite", constate le conseil. Et d'ajouter : "sans compter le nombre de femmes victimes de ces pratiques et qui n'osent pas pousser la porte d'un cabinet d'avocat par peur du qu'en-dira-t-on."
L'INFO - Le "revenge porn", défouloir des cocus sur Internet