Décryptage - "On est les sœurs Kouachi, on va sortir les kalachnikovs". Ces propos ont été lancés par une jeune fille de 14 ans, accompagnée d’une amie, aux contrôleurs du tramway, à Nantes, une semaine après l'attentat du 7 janvier contre Charlie Hebdo. L'adolescente n'est pas la seule à avoir tenu des paroles relevant d’apologie du terrorisme. "Je vais prendre une Kalach' et aller dans les rues de Bastia", a par exemple déclaré, en cours, un lycéen corse de 17 ans. Des paroles qui valent à ces deux mineurs, parmi d’autres à Nice ou Lons-le-Saulnier, d'être poursuivis devant la justice pour apologie du terrorisme. Cette infraction, pour laquelle la Chancellerie a recensé l'ouverture de 117 procédures depuis les attaques ayant touché Paris, n’est donc pas l’apanage des adultes. Quelle peine ces jeunes encourent-ils ? Et quels sont les instruments à disposition de la justice des enfants pour y répondre ?
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Une peine divisée de moitié. "La loi applicable aux majeurs s'applique aussi aux mineurs. Mais ce qui change, c'est la réponse judiciaire, la peine encourue", explique Marie-Pierre Hourcade, présidente de l'association française des magistrats de la jeunesse et de la famille. De façon générale, les peines maximales encourues par les mineurs – applicables seulement à partir de 13 ans - sont divisées de moitié par rapport à celles prévues pour un majeur, et un quantum maximal est fixé pour l'amende. Dans certains cas toutefois, la loi permet de condamner les plus de 16 ans comme s'ils étaient majeurs, c’est-à-dire sans leur faire bénéficier de "l’excuse atténuante de minorité" et donc de la réduction de peine.
Jusqu’à trois ans et demi ferme. Si pour les adultes, la loi réprime les faits d'apologie du terrorisme - un délit prévu par l'article 421-2-5 du code pénal - de cinq ans d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende, et jusqu'à sept ans de prison et 100.000 d'amende, lorsque ce message, circonstance aggravante, est diffusé via internet, un mineur risque donc trois ans et demi de prison dans ce dernier cas. Pour les moins de 13 ans, seules des mesures ou sanctions éducatives peuvent être prises. Dans tous les cas, "le juge des enfants va privilégier celles-ci aux réponses pénales", précise Marie-Pierre Hourcade.
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Des sanctions éducatives. "Il faut expliquer au mineur que c'est interdit. […] On va demander aux services éducatifs de dé-radicaliser les jeunes, de prendre des dispositions pour couper ses relations, changer ses fréquentations", expose la magistrate. Ces mesures éducatives peuvent prendre la forme d'une rupture entre le jeune et son environnement familial – notamment si celui-ci joue un rôle prépondérant dans sa radicalisation-, avec un départ en famille d'accueil, un placement en foyer ou en centre éducatif fermé, par exemple.
Elles peuvent aussi consister en une mesure de réparation. Une mesure "intelligente" qui permet "de faire réfléchir" le mineur sur la portée de son acte, estime Marie-Pierre Hourcade. C’est justement ce type de sanction éducative qu’a prononcée le juge des enfants, le 14 janvier dernier, à l’encontre de la jeune fille de 14 ans, non-scolarisée, et mise en examen à Nantes.
Des mineurs "en conflit avec la loi". L’accompagnement du mineur par des éducateurs est également l’une des solutions. "Ces gamins sont en conflit avec la loi : la loi familiale, la loi sociale, républicaine", analyse Jean-Pierre Rosenczveig, qui fut président pendant 23 ans du tribunal pour enfants de Bobigny, en Seine-Saint-Denis. "Ils ne se sentent pas protégés par ces lois et la loi de l'islam leur offre des perspectives. Il faut que la République se dote, en nombre et en qualité, de travailleurs sociaux, d'éducateurs, qui vont aller au contact de ces gamins et leur offrir d'autres horizons."
Le tribunal pour enfants peut aussi imposer un stage de citoyenneté avec la protection judiciaire de la jeunesse, comme cela a été décidé à Morez, dans le Jura, pour cet adolescent de 14 ans qui a soutenu les attaques terroristes de Paris sur les réseaux sociaux. Cette mesure éducative constitue aussi la possibilité d'un débat avec le mineur, d’un espace de réflexion sur l'islam, la laïcité, le vivre-ensemble.
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"Une pédagogie adaptée aux événements". Quelle que soit la sanction ou la mesure éducative choisie, tout l'objectif est "d'arriver à modifier le comportement d'un mineur qui ne respecte pas la loi", avance Marie-Pierre Hourcade. Et autant que possible, faire "du sur-mesure", insiste Jean-Pierre Rosenczveig, en prenant en compte le contexte des faits, la personnalité du mineur et son milieu, à partir d'un diagnostic social et psycho-éducatif. Même si, ajoute-t-il, "dans certains cas, il ne faut pas hésiter à aller jusqu'au bout. La peine sert aussi pour l'exemplarité. Mais tout systématisme est une connerie." D’après ces deux spécialistes de la jeunesse, la justice dispose donc déjà des instruments adaptés pour répondre au délit d’apologie du terrorisme. Mais il faut désormais les nourrir avec "une pédagogie particulière qui doit être adaptée aux événements", souligne la présidente de l'AFMJF.
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Des magistrats formés pour mieux comprendre.L'école nationale de la magistrature (ENM), basée à Bordeaux, propose des formations sur les trois religions monothéistes, sur l’errance des jeunes ou les phénomènes de bande. « Les juges ont le souci d'améliorer leurs connaissances, de se former et de se documenter face à ces nouveaux événements. Comment ces jeunes sont-ils endoctrinés ? Comment peut-on avoir un impact sur eux ? Le juge des enfants doit comprendre le mécanisme pour répondre de façon adaptée », défend Marie-Pierre Hourcade. Jean-Pierre Rosenczveig abonde également en ce sens. Pour celui qui a consacré ses 40 ans de carrière aux enfants, il faut aussi comprendre les causes de ces actes : "Il ne suffira pas de dire au gamin "c'est pas bien" et de le punir, si l'on ne s'attaque pas au terreau, à ce qui fait qu'il est réceptif", conclut-il.