Le pavé dans la mer. Réelles convictions ou volonté d'apaiser les relations avec les nationalistes ? Depuis quelques mois, les pouvoirs publics corses semblent déterminés à vouloir faire de l'île de beauté une exception institutionnelle. Après la co-officialité de la langue corse, votée le 17 mai par l'Assemblée de Corse, et rejetée le mois suivant par le gouvernement, Paul Giacobbi, président du conseil exécutif de Corse (organe exécutif de la Collectivité territoriale de Corse), a jeté un nouveau pavé dans la Méditerranée. Son idée : "limiter l'accès à la propriété pour les non résidents de l'île".
Sa proposition. L'élu, étiqueté Parti radical de gauche (PRG), s'inquiète de l'afflux des investissements extérieurs dans l'immobilier de l'île, responsable selon lui de la hausse des prix au détriment de l'agriculture et de l'accession à la propriété des locaux. "Si on peut acheter un terrain en Corse aussi aisément qu'une tablette de chocolat sur le rayon d'un supermarché, on court à la catastrophe", s'énerve-t-il ainsi dans un entretien à Corse Matin. "Il faut donc limiter l’accès à la propriété foncière pour les non-résidents. On pourrait fixer, pourquoi pas, le délai à cinq ans de résidence ou se fonder sur l’attachement familial à la Corse afin de ne pas pénaliser les Corses de l’extérieur", propose-t-il.
La proposition de Giacobbi est-elle envisageable ? "Je sais que ça pose un problème de droit européen", reconnaît Paul Giacobbi. Et, comme le précise Corse Matin, "le président du conseil exécutif sait évidemment qu'il va s'exposer à des vents contraires ici, à Paris et à Bruxelles car une volonté politique, aussi justifiée soit-elle, ne peut pas entamer sans fondation juridique et éthique solide la liberté d'accession à la propriété. Le droit européen semble inflexible là-dessus". Mais Paul Giacobbi veut surtout "prendre la mesure de l'atmosphère politique ambiante". L'idée : déterminer quels seront ses soutiens sur l'Île et à Paris, avec l'espoir de réussir à obtenir, à long terme, une dérogation qui avantagerait la Corse, voire même une révision constitutionnelle, au nom du développement de l'Île.
"L'élaboration du Padduc (plan d'aménagement et de développement durable de la Corse) confirme le caractère indispensable d'une telle mesure", insiste-t-il. Une session spéciale sera prochainement programmée sur le sujet au sein de l'Assemblée de Corse, et il est difficile de dire de quel côté pencheront les élus, comme l'explique Corse Martin dans un article daté de jeudi. Comme pour la co-officialité de la langue, le gouvernement devrait donner son avis dans la foulée.
A-t-il raison de s'alarmer ? Le ratio hausse des prix de l'immobilier/revenus des ménages ne semble, en effet, pas tendre en faveur des habitants de l'Île de beauté. Selon la dernière enquête de l'Insee sur la question, qui se base sur des chiffres de 2009, le revenu disponible brut des Corses s'élève à 17.844 euros par an, contre une moyenne nationale de 19.875 euros, "situant la Corse parmi les régions les plus défavorisées." Et parallèlement, les prix ne cessent d'augmenter. Selon la dernière note de conjoncture des notaires de France en effet, la Corse est l'une des régions de France où les prix ont le plus bondi, notamment en Corse du Sud, qui enregistre des bons de plus de 10% sur un an, dans les maisons anciennes ou les appartements neufs par exemple. Or, en 2012, les notaires avaient déjà relevé une hausse entre 12% (Corse du Sud) et 25% (Haute-Corse) sur an.
Manque de logements sociaux ? Toutefois, outre pour les maisons anciennes, où la Corse du Sud bat des records, les prix restent encore en dessous de régions comme l'île de France, la Côte d'Azur ou même la région lyonnaise. Et les pics semblent se concentrer sur certains quartiers prisés, comme à Calvi, Bonifacio ou certains quartiers d'Ajaccio. "Les prix des terrains augmentent partout! En Ile-de-France, dans le Var, dans le Lot, la situation est parfois pire, et on ne demande rien de tel! Il faut arrêter de penser que la Corse est seule au monde", dénonce ainsi dans Le Figaro l'association France-Corse, résolument opposée à tout projet d'exception institutionnelle. D'autant que la hausse des prix n'est pas uniquement due à l'afflux d'investissement étrangers. La Corse, par exemple, fait face à un manque criant de logements sociaux. Selon l’État, il en faudrait 600 par an pour loger correctement la population insulaire. On en serait à peine à la moitié