Mai 2010. François Fillon vient d’annoncer un vaste plan d’économies alors que la crise des dettes publiques frappe la France et l’Europe. Tous les éditoriaux parlent alors de rigueur, comme l’opposition. Le gouvernement refuse lui de l’admettre et même de prononcer le mot. C’est que le vocable est tabou depuis 1983, quand Pierre Mauroy, soucieux d’éviter d’utiliser le mot austérité, opte alors pour le "tournant de la rigueur". Il est depuis synonyme de temps difficiles… et d’impopularité.
Et, effet de l’alternance oblige, il est devenu l’apanage de l’opposition. De la victoire de Nicolas Sarkozy en 2007 à celle de François Hollande en 2002, le mot "rigueur" n’a, on l’a vu, quasiment jamais franchi les lèvres d’une personnalité de droite. Depuis l’accession du Parti socialiste au pouvoir, les ténors de l’UMP n’ont au contraire que ce mot à la bouche. Et les leaders de la gauche, qui l’utilisaient volontiers sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, se refusent désormais à prononcer le terme honni, préférant brocarder l’ardoise laissée par la droite à son départ.
La rigueur et ses synonymes
Pour la gauche, éviter de parler de rigueur est un exercice ardu, surtout au lendemain de la remise du rapport de la cour des Comptes. L’organisme a calculé qu’il faudrait économiser entre 7et 10 milliards d’euros en 2012 et surtout 33 milliards en 2013 pour tenir les engagements de la France en terme de réduction des déficits. Difficile à imaginer sans une politique d’économies des plus… rigoureuses.
Mais non, le PS, vent debout, refuse l’expression. Ses leaders rivalisent même d’imagination pour trouver un synonyme plus acceptable politiquement à l’angoissante rigueur. Le Premier ministre en personne a donné l’exemple dans une interview publiée dimanche dans le JDD. Jean-Marc Ayrault y évoquait un "réalisme de gauche" et des "efforts justes et efficaces". Mardi dernier, sur France Info, Pierre Moscovici, ministre de l’Economie, évoquait lui un "redressement dans la justice".
"Rigueur de droite" et "rigueur de gauche"
Même refus, plus argumenté, de parler de rigueur pour Jérôme Cahuzac. "Je crois que la rigueur, c'est demander à ceux qui n'en peuvent plus de consentir davantage. Je crois savoir que ce budget n'ambitionne pas de demander davantage à ceux qui n'en peuvent déjà plus", a assuré le ministre délégué au Budget le 29 juin sur Canal Plus.
Enfin, François Hollande lui-même ne veut pas entendre parler de rigueur. "Je suis contre l'austérité", proclamait le chef de l’Etat lors du mini-sommet européen de Rome le 22 juin. Mais à l’Elysée, un conseiller du président, cité par le Journal du Dimanche, avait tout de même lâché le mot, avec un distinguo droite-gauche notable. "La rigueur de gauche, s’il y en a une, est juste, elle n’est pas idéologique, injuste et punitive comme la rigueur de droite et évidemment, elle a vocation à s’arrêter rapidement, l’austérité n’est la solution à aucun de nos problèmes", expliquait-il.
"Une rigueur plus brutale et plus hypocrite"
Ce distinguo, Valérie Pécresse l’a également utilisé pour critiquer la politique économique du gouvernement. "La rigueur de gauche, avec ses 20 milliards d’euros de dépense supplémentaires, va être beaucoup plus brutale et elle est plus hypocrite", a affirmé dimanche sur Europe 1 l’ex-ministre du Budget, qui pourtant n’avait jamais admis ouvertement que le gouvernement auquel elle a appartenu avait mis en place une politique de rigueur.
Quant au député UMP Gilles Carrez, spécialiste des questions de budget, il a dénoncé un double langage des socialistes pour préparer "un tournant de la rigueur que leur impose leur politique de dépenses massives".
L’invective de Moscovici
Pour contrer ces critiques, Pierre Moscovici a estimé que la meilleure défense restait encore l’attaque. "Ils feraient mieux de se taire", a lancé le ministre de l’Economie dimanche dans Internationales, sur RFI/TV5 Monde/Le Monde, reprochant à l’équipe sortante de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour ramener le déficit public à 4,5% du PIB en 2012, conformément aux engagements de la France. "Ils n'ont rien foutu pour réduire les déficits pendant cette année et c'est à nous que revient le poids de réformes structurelles justes. Qu'ils se taisent, nom de Dieu", s'est emporté Pierre Moscovici, pointant le 1,5 milliard d’euros de dépense non financées.
Le ministre de l’Economie prenait là le relais de Jérôme Cahuzac, qui avait affirmé le 26 juin sur BFMTV qu’"avec nos prédécesseurs, il y a une ardoise dissimulée".
"Pas d’ardoise cachée"
Cet argument a évidemment fait bondir la droite. "On ne va pas pouvoir nous faire le coup de l'héritage", s’est agacé Jean-François Copé sur BFMTV. (...) La Cour des comptes a rétabli la vérité, en certifiant les comptes de 2011, en saluant les efforts réels qui ont été faits sur le déficit et en indiquant qu'il n'y avait pas d'ardoise cachée", a déclaré le secrétaire général de l’UMP, ironisant : "L'ardoise cachée, l'héritage de la droite, c'est loupé".
Christian Jacob s’est également reposé sur le rapport de la Cour des comptes pour répondre à Pierre Moscovici. "Ce rapport est un démenti cinglant aux propos ridicules, vils et indignes de M. Moscovici accusant la majorité sortante de n'avoir ‘rien foutu’", s’est félicité le président du groupe UMP à l’Assemblée.
Jean-François Copé espère désormais un "mea culpa" lors du discours de politique générale de Jean-Marc Ayrault devant l’Assemblée. Ce mea culpa ne viendra sans doute pas, mais le premier ministre devrait en dire plus sur sa gestion des finances publiques. Assurément, la question du budget et son corollaire, la rigueur, n’ont pas fini d’alimenter le débat politique.