Quelle fiabilité accorder aux statistiques sur la délinquance ? Un rapport commandé par le ministre de l'Intérieur le 18 février dernier rapporte que "la politique du chiffre" instaurée entre 2007 et 2012 a conduit à de nombreuses "dérives" dans la comptabilité des faits de délinquance en France. Des dérives que l'inspection générale de l'administration (IGA) datent à partir de 2006-2007, soit peu avant l'arrivée de Nicolas Sarkozy au pouvoir. A peine arrivé place Beauvau le 17 mai 2012, Manuel Valls avait d'ailleurs prévenu qu'il n'y aurait pas, en matière de sécurité, de "course effrénée aux chiffres". Une posture qui se voulait volontaire en opposition avec à la pratique du précédent gouvernement.
"Un désengagement du contrôle". Contraints d'atteindre certains objectifs quantitatifs, les policiers auraient, selon le rapport, arrêté d'enregistrer des plaintes une fois ces objectifs atteints. Une pratique ayant pour effet de tronquer les statistiques de la délinquance. La "politique du chiffre" en matière de sécurité aurait en effet engendré une absence ou un désengagement du contrôle de l'enregistrement" des plaintes par la hiérarchie. "Les chefs de service, placés entre l'injonction d'afficher de bons résultats et l'impératif de contrôler la bonne application du guide de méthodologie statistique, privilégiaient souvent la première option", peut-on lire dans le rapport.
Des directives de l'administration qui impactent les chiffres. Il ajoute que "certaines directives de l'administration centrale ont pu contribuer à minorer fortement les statistiques de la délinquance en généralisant des pratiques d'enregistrement non-conformes". L'IGA cite notamment deux directives qui ont fait sortir "dès 2007 et les années suivantes, près de 130.000 faits" par an de "l'Etat 4001 des forces de l'ordre", l'outil statistique classifiant les infractions en zones police et gendarmerie en fonction des plaintes.
35.000 faits de délinquance inexistants ? Le rapport permet par ailleurs au ministère de l'Intérieur d'expliquer la hausse des chiffres de la délinquance entre 2011 et 2012. L'étude confirme en effet "une rupture statistique" suite au déploiement dans la gendarmerie de Pulsar, en janvier 2012. Ce logiciel a en effet eu un impact sur les chiffres entre 2011 et 2012, à hauteur de 35.000 à 50.000 faits annuels, soit 3,5 à 5% de la hausse de la délinquance constatée en zone gendarmerie. Manuel Valls veut réformer. L'explosion des chiffres de la gendarmerie connue depuis fin 2012 a alimenté les critiques de l'opposition qui dénonce un "laxisme" du gouvernement. Ce rapport intervient alors qu'une mission parlementaire a mis en cause en avril l'outil de mesure de la délinquance. Une mission qui rejoint ainsi la volonté de Manuel Valls de réformer en profondeur cet appareil statistique contesté, pour éviter des "manipulations".
Création d'un Service statistique ministériel ? Parmi ses dix recommandations, l'IGA préconise ainsi au gouvernement d'"instaurer un contrôle de l'enregistrement des plaintes". La mission de l'IGA, menée en collaboration avec l'inspection générale de l'Insee, plaide par ailleurs pour la création d'un Service statistique ministériel qui incorporerait des statisticiens à l'Intérieur, "tout en renforçant la place de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales", qui publie également des chiffres à partir de plusieurs sources, notamment judiciaires.