Trois photos prises à l'été 1944, trois histoires personnelles qui racontent la grande Histoire. Soixante-dix ans après le Débarquement sur les plages de Basse-Normandie, des enfants photographiés à l'époque ont accepté de raconter leurs souvenirs. Europe 1 est ainsi allé à la rencontre de Marcelle, Josiane, Georgette, Lucien, Marcel et Jeanine. Ils avaient entre quatre et douze ans à l'époque. Les années ont passé, mais tous ont accepté de prendre à nouveau la pose pour raconter leur histoire.
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Les bombardements de Saint-Lô, Marcelle Campion s'en souvient comme d'un feu d'artifice. "J'avais quatre ans et demi, je ne me souviens presque de rien, mis à part d'un flash. Je me rappelle d'une grande lueur dans le ciel. Pour moi, c'était très beau", raconte aujourd'hui Marcelle, en bas à gauche sur ce cliché pris en juillet 1944.
Cette photo, Marcelle l'a retrouvée par hasard il y a tout juste vingt ans, en feuilletant un magazine, édité pour le cinquantenaire du Débarquement. "Avant de me reconnaître, j'ai immédiatement reconnu ma grand-mère, en haut à gauche". Par l'entremise du magazine, Marcelle retrouve les survivants de la photo, tous membres d'une même famille, les Tourgis.
De cette fratrie de cinq enfants, seules deux filles aujourd'hui sont encore vivantes. Parmi elles, Josiane, âgée de quatre mois en juillet 1944. Si cette jeune septuagénaire n'a aucun souvenir de Saint-Lô et des bombardements, sa sœur Gisèle, âgée de 16 ans à l'époque et aujourd'hui décédée, lui en a livré quelques maigres détails.
"Ma soeur ne parlait pas beaucoup des bombardements, elle en était traumatisée", confie Josiane. Même obstacle pour Marcelle, qui a également été confrontée au mutisme de sa grand-mère. "La guerre lui a tout pris, elle refusait de parler de ce moment douloureux".
Ce sont donc les notes prises par un abbé de la région et les articles d'époque du journal Ouest France qui leur ont permis de savoir que cette photo avait été prise à l'entrée d'une petite cave de 13 mètres carrés, dans laquelle les Tourgis, Marcelle Campion et sa grand-mère s'étaient réfugiés pour échapper aux bombardements.
Comment ces deux familles sans lien se sont retrouvées ensemble, cachées dans cet abri de fortune ? "Nous marchions avec ma grand-mère dans les rues de Saint-Lô lorsque les bombardements ont commencé", détaille Marcelle. "Des membres de la famille Tourgis nous ont vues, et nous ont dit de ne pas rester là".
ÉCOUTEZ. Si Marcelle ne conserve que des réminiscences de cette photo, elle garde en revanche encore un goût enfantin de l'arrivée des troupes américaines.
"J'étais sa baby, il était MON GI", raconte Georgette, âgée de sept ans sur cette photo prise pendant l'été 44 à Saint-Laurent-sur-Mer, plus connu sous le nom d'Omaha Beach. Seule survivante de ce cliché, Georgette se souvient avec précision de cet instant.
"Ma grand-mère faisait la lessive pour les Américains. Deux GIs ont été envoyés à la maison pour réparer la pompe à eau", se remémore Georgette. "Un correspondant de guerre, qui se trouvait là, a demandé aux deux soldats de nous prendre dans leurs bras". À cet instant, Georgette n'imagine pas que cette photo fera le tour du monde.
Les Américains partis, leur souvenir hante Georgette pendant de nombreuses années. Qu'est devenu Donald, "son" GI ? À l'approche du cinquantenaire du Débarquement, en 1994, elle découvre avec surprise que "leur" photo a été choisie comme symbole des commémorations. Persuadée que Donald reviendra un jour se recueillir sur ces plages, elle placarde la photo, avec son numéro de téléphone, sur le musée d'Omaha. Une tentative désespérée, finalement couronnée de succès. Une Américaine en pèlerinage reconnaît Donald, frère de combat de son mari.
Quelques appels et mois plus tard, Donald, qui cherchait également de son côté "sa baby", revient en Normandie. Les retrouvailles ont lieu en 2005. "Il avait fait teindre ses cheveux blancs en roux pour que je le reconnaisse plus facilement", s'amuse encore aujourd'hui Georgette. Donald, Georgette et Gilbert, le petit blond de la photo de 1944, se réunissent pour alors rejouer la photo, 51 ans après. "Les larmes et le champagne ont coulé à flot ce jour là", souffle la septuagénaire. Ce seront les dernières retrouvailles du trio. Donald meurt en 2006, après une deuxième visite en France; Gilbert en 2008.
ÉCOUTEZ. Seule survivante du cliché, Georgette ressent aujourd'hui la nécessité de témoigner. Un impératif soufflé par Donald : "Il m'a toujours demandé de raconter cette histoire, de témoigner, pour ne pas que tout ça tombe dans l'oubli".
De ces sept enfants de Saint-Joseph, bourgade située au sud de Cherbourg, cinq sont encore vivants. Parmi eux, Marcel Dupont, l'enfant au pardessus et aux sourcils froncés par le soleil, Lucien Rauline, béret vissé sur la tête, et Jeanine Remond. Sur cette photo prise en juillet 44, tous sont endimanchés. Et pour cause : la photo a été prise à la sortie de la messe, sur le parvis de l'église, par un soldat américain.
"J'avais onze ans, mais je n'en ai aucun souvenir, cet instant ne m'a pas marqué", résume aujourd'hui Lucien. Même son de cloche pour Jeanine, à l'époque âgée de sept ans. "Des jeunes à la tête creuse !", se moque de son côté Marcel, qui s'en souvient "comme si c'était hier".
"C'était le premier dimanche après l'arrivée des Américains à Saint-Joseph", raconte ce cidrier retraité de 82 ans. On a vu les Américains sortir de l'église, alors on s'est approchés par curiosité, pour voir les Américains de près. C'est à ce moment qu'un grand GI nous a rassemblés pour prendre cette photo".
Le soldat-photographe rentre ensuite aux États-Unis, la photo avec lui. Mais 59 ans plus tard, en 2003, un habitant de Saint-Joseph, passionné par la Bataille de Normandie, retrouve le cliché lors d'un voyage à Washington. Après une enquête de voisinage, les enfants, devenus grands-parents, sont retrouvés et identifiés. Exception faite des personnes au second plan. "Il s'agit probablement de réfugiés des bombardements, Saint-Joseph a été relativement épargné, mais d'autres bourgades voisines n'ont pas eu cette chance", explique Lucien, citant plusieurs villes normandes, dont le cas de Montebourg, à quelques encablures de là.
Montebourg, détruite puis reconstruite, vit aujourd'hui au rythme des commémorations. Pour les 70 ans du Débarquement, la ville a revêtu les couleurs canadiennes, anglaises et américaines. Le destin d'une ville de Normandie bercée par le devoir de mémoire.
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