Dans le civil, elle affiche systématiquement un plein sourire. Dans le cadre de ses fonctions de magistrate, elle sourit souvent également, mais elle peut se montrer impitoyable, imperméable à toute formes de pression. Telle est Isabelle Prévost-Desprez, l’actuelle présidente de la 15e chambre du tribunal de grande instance de Nanterre, chargée des affaires financières. C’est à ce titre qu’elle a eu en charge, un temps, une partie de l’affaire Bettencourt, avant d’être dessaisie en novembre 2010 au moment du dépaysement de l’affaire à Bordeaux.
La magistrate est à nouveau au cœur de l’actualité avec la sortie mercredi du livre de deux journalistes du Monde, Gérard Davet et Fabrice Lhomme, (Sarko m'a tuer, chez Stock), dans lequel elle évoque un témoin qui aurait assisté à des remises d'espèces à Nicolas Sarkozy au domicile de la famille Bettencourt à Neuilly-sur-Seine. L’inévitable tempête médiatique qu'a déclenché ces révélations ne devrait pas la faire sourciller. "Je préfère m'en prendre plein la gueule plutôt que de négocier", disait-elle en plein cœur de l’affaire Bettencourt.
"Manque de diplomatie"
Car Isabelle Prévost-Desprez a la justice chevillée au corps. "Aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours voulu faire du droit, et j’ai su très tôt que je serais juge d’instruction", écrit-elle dans son ouvrage Une juge à abattre, paru en mai 2010. Cette native de Lille, âgée aujourd’hui de 52 ans, intègre l’Ecole nationale de la magistrature en 1983. Dès 1984, elle est substitut du procureur de Lille. Elle occupe ensuite le même poste à Paris, à partir de 1988. Puis en 1992, elle décroche son Graal en étant nommée juge d’instruction, chargée de la "délinquance astucieuse". C’est-à-dire des abus de confiance, des escroqueries et autres abus de faiblesse.
C’est à ce poste qu’elle gagne ses galons de grande magistrate et sa réputation de femme à poigne. "Elle est une personnalité courageuse, qui va au bout des choses, qui dit les choses clairement, sans détour, c'est peut-être cela qui fait qu'elle n'a pas que des amis dans la magistrature", note le président de l'Union syndicale des magistrats, Christophe Régnard, admettant "son manque de diplomatie". Car Isabelle Prévost-Desprez ne craint pas les affaires sensibles, celles qui attirent la lumière. Et son indépendance vis-à-vis du pouvoir politique est définitive. "Je n'ai jamais inscrit mon action de magistrat dans une logique de combat politique", écrit-elle. A son actif, les affaires du Sentier 1 et 2, l’affaire COB, l’affaire Ceccaldi-Raynaud, Angolagate…
C’est dans cette dernière affaire de vente d’armes illégale à l’Angola qu’Isabelle Prévost-Desprez collabore étroitement avec Philippe Courroye, lui aussi juge d’instruction. Au fil des années, leur relation vire de la grande proximité à une détestation sourde. Ces deux là se retrouveront quelques années plus tard pour ferrailler dans le cadre de l’affaire Bettencourt.
La guerre des magistrats
En 2004, lassée de son poste sensible, et séduite par une promotion professionnelle, elle accepte de devenir vice-présidente du tribunal de Nanterre. Elle n’abandonne pas son cheval de bataille pour autant, la chambre qu’elle préside étant chargée des affaires financières. C’est à ce titre qu’elle est saisie du volet abus de faiblesse dans l’affaire Bettencourt, la fille de la milliardaire accusant le photographe François-Marie Banier d’avoir profité des largesses de sa nonagénaire de mère.
Commence alors une véritable guerre des magistrats entre Isabelle Prévost-Deprez et Philippe Courroye, nommé entretemps président du tribunal de Nanterre. Elle dénonce la "circonspection" et la "justice docile" incarnées par son collègue lorsqu'il s'agit de s'attaquer aux sphères présidentielles. La guerre devient totale entre les deux magistrats en septembre 2010 avec l'ouverture par le procureur Courroye d'une enquête pour "violation du secret de l'enquête", qui vise la magistrate, soupçonnée d'être l'origine de fuites dans la presse. Elle ne pliera finalement qu’au dépaysement de l’affaire.
A l’occasion de l’affaire Bettencourt, Isabelle Prévost-Desprez a approché de près les plus hautes sphères du pouvoir. Elle a été touchée par les commentaires touchant à sa vie privée. Son divorce, et le montant de la prestation compensatoire qu'elle a obtenue, avaient particulièrement été commentés par se adversaires. D'aucuns verront donc dans la petite phrase qui a tout déclenché un règlement de comptes.
Dans Sarko m’a tuer, elle revient surtout sur son face-à-face à distance avec le président de la République: "Même s'il est en quelque sorte descendu à mon niveau, c'est lui le plus fort parce que c'est le président. On est comme deux boucs, tête contre tête", dit-elle, ajoutant : "mais la seule façon de m'éliminer, c'est de me tuer".