A moins d’une semaine du second tour de l’élection présidentielle, le site d’information Mediapart a lancé un pavé dans la mare en accusant à nouveau Nicolas Sarkozy d’avoir bénéficié en 2007 d’un financement occulte provenant du clan Kadhafi et destiné à sa campagne électorale.
Le président-candidat a immédiatement réagi, mettant en cause l’existence même de la preuve apporté par Mediapart et l’impartialité de ce site, accusé d’être "une officine" au service de la gauche. Le parquet a ouvert une enquête, lundi, après une plainte déposée par Nicolas Sarkozy. Europe1.fr revient sur cette affaire alambiquée où se croisent des personnages complexes.
A QUAND REMONTENT LES PREMIÈRES ACCUSATIONS ?
Le clan Kadhafi porte les premières accusations en pleine guerre civile libyenne, alors qu’une coalition internationale s’apprête à effectuer de premières frappes aériennes. Seif al-Islam Kadhafi, l'un des fils de Mouammar Kadhafi, accuse Nicolas Sarkozy le 16 mars 2011 dans une interview accordée à Euronews.
"La première chose que l’on demande à ce clown, c’est de rendre l’argent au peuple libyen", accuse-t-il. "Il faut que Sarkozy rende l’argent qu’il a accepté de la Libye pour financer sa campagne électorale. C’est nous qui avons financé sa campagne, et nous en avons la preuve. Nous sommes prêts à tout révéler", martèle Seif al-Islam Kadhafi.
Le président de la République ne réagit pas officiellement, laissant à Claude Guéant le soin de s’en charger. "J'aurais tendance à dire que depuis le temps qu'ils le disent, qu'ils le fassent", assure-t-il sur Europe 1, avant de rappeler que les comptes de campagne du candidat UMP ont été examinés et validés par le Conseil constitutionnel et la commission des comptes de campagne.
POURQUOI L'AFFAIRE REBONDIT EN FRANCE ?
C’est l’enquête sur le marchand d’armes Ziad Takieddine qui relance l’affaire trois mois plus tard, à l’été 2011. Ce dernier est visé par la justice dans le cadre de l’affaire Karachi, une autre affaire de financement politique supposé via des contrats d’armements. Mais Ziad Takieddine apparaît aussi comme l’un des facilitateurs de contacts entre la France et la Libye de Mouammar Kadhafi.
En s’intéressant à cet homme de l’ombre, le site internet Mediapart tombe sur un document laissant penser qu’il a préparé une rencontre entre le régime Kadhafi et la garde rapprochée du candidat Sarkozy. "Les modalités de financement de la campagne" de "NS ont été "réglées lors de la visite Libye NS + BH" en 2005, indique ce document cité le 12 mars 2012. Des accusations qualifiées de "grotesque" le jour-même par Nicolas Sarkozy.
QUELLES DERNIÈRES RÉVÉLATIONS VIENT D'APPORTER MEDIAPART ?
Le site d’information a étayé ses accusations samedi 28 avril par un document en arabe, signé par Moussa Koussa, ex-chef des services de renseignements extérieurs de la Libye. Le document fait état d'un "accord de principe" pour "appuyer la campagne électorale du candidat aux élections présidentielles, M. Nicolas Sarkozy, pour un montant d'une valeur de cinquante millions d'euros".
Cette fois-ci, Nicolas Sarkozy réagit vivement et annonce qu’il va porter plainte contre Mediapart, soulignant que "ceux qui mentent doivent être condamnés par la justice". Le Premier ministre François Fillon abonde, qualifiant Mediapart "d'officine" au service de la gauche. Joignant le geste à la parole, le président-candidat dépose, lundi après-midi, une plainte contre le site, son directeur de la publication Edwy Plenel, et les deux journalistes cosignataires de l'article polémique Fabrice Arfi et Karl Laske.
Et lundi en fin de journée, le parquet a annoncé l'ouverture d'une enquête préliminaire.
QUELS SONT LES (NOUVEAUX) PERSONNAGES DE CETTE AFFAIRE ?
Ziad Takieddine est au cœur de cette affaire. Mis en examen dans le dossier Karachi, son nom apparaît progressivement dans d’autres dossiers : il a notamment servi d’intermédiaire entre la Libye de Kadhafi et la France. Interrogé au sujet du dernier document révélé par Mediapart, il dit avoir "peu de doute" sur son authenticité.
Outre Ziad Takieddine, les dernières révélations de ce dossier ont fait découvrir au grand public de nouveaux noms. C’est notamment le cas de Moussa Koussa, chef des très influents services de renseignements extérieurs libyens de 1994 à 2009, avant de devenir ministre des Affaires étrangères. Exfiltré de Libye avec l’aide de la France, il vit désormais à Doha. C’est sa signature qui figure en bas du document révélé par Mediapart. Un document qu’il qualifie lui-même de faux.
L’autre protagoniste est Bachir Saleh, ancien directeur de cabinet de Mouammar Kadhafi. Gestionnaire des comptes du régime, c’est à lui qu’aurait été adressé le document révélé par Mediapart et lui demandant de verser 50 millions d’euros. Il a pourtant démenti avoir reçu une telle lettre. Bachir Saleh, qui vit désormais en France, s’est aussi invité dans l’actualité pour une autre affaire : recherché par Interpol, qui veut le renvoyer en Libye, il séjourne encore en France grâce à un passeport diplomatique nigérien.
UN DOUTE PERSISTANT : QUI PEUT-ON CROIRE ?
Si les langues commencent à se délier, une question demeure : qui peut-on croire ? Difficile en effet de se fier aux propos d’hommes ayant frayé dans les eaux troubles du renseignement et dont les intérêts sont divergents. Ziad Takieddine, un temps très proche de l’UMP et notamment de Jean-François Copé, a validé toutes les accusations visant Sarkozy, et pour cause : poursuivi en justice, il a le sentiment d’avoir été lâché par ses soutiens politiques et refuse de payer d’être le seul à payer. Depuis, il est décidé à "éradiquer" un "système de corruption en place depuis 1995".
A l’inverse, Moussa Koussa et Bachir Saleh ont, eux, des intérêts opposés : ils ne doivent leur salut qu’aux services français et britanniques, qui ont fait le choix de les "exfiltrer" pour mieux comprendre le système Kadhafi. Dès lors, il leur est difficile d’appuyer des accusations mettant en cause le gouvernement qui les a sauvés.
C’est d’ailleurs l’analyse de Fabrice Arfi, qui a enquêté sur cette affaire pour Mediapart. "Pourquoi ils démentent ? Il faut voir d’où ces deux hommes parlent aujourd’hui ? Nous avons là deux hommes protégés par la France et le Qatar, qui ont été les deux plus ferventes d’une intervention en Libye", a-t-il rappelé lundi sur Europe 1. Et Fabrice Arfi de poursuivre : "Bachir Saleh est recherché par Interpol. Cet homme devrait être arrêté et livré à la Libye libre et il vit tranquillement en France, protégé administrativement et policièrement. Donc son démenti n’a pas de valeur eu égard à cette situation".