Interdiction de prendre une pause pendant six heures d'affilée. Des caisses en plein courant d'air froid et des rappels à l'ordre permanents. Alors qu'elle était enceinte de quatre mois, rien n'a changé pour Ayalé : ni les horaires, ni la pression. Jusqu'au jour où elle perd les eaux et fait une fausse couche sur son lieu de travail. Avant d'être licenciée. Car la direction l'accuse d'erreurs de caisse. Pour les collègues d'Ayalé, c'est la goutte de trop. Jeudi, les salariés se mobilisent et ont prévu un rassemblement à 14h30 devant le magasin O'marché, à la Courneuve. Pour eux, c'est la goutte de trop.
"Je portais quelque chose de lourd et j'ai senti que...". "J'étais sous pression, j'avais tout le temps mal au bas-ventre", se souvient Ayalé. Le jour où l'accident s'est produit, la caissière de 33 ans, enceinte de quatre mois portait une charge lourde. "J'ai senti que... j'avais perdu les eaux". "Après ma convalescence j'ai repris tout de suite le travail, je ne sais pas ce qu'ils ont a à me reprocher", s'interroge Ayalé.
"Il est facile de rejeter la faute sur l'employeur". Le directeur du magasin O'marché, Claude Feirara réfute toute responsabilité et l'accuse de nombreuses erreurs de caisse. "Il y a eu un paquet d'avertissements", se défend le patron. "Une fois que le malheur est arrivé, il est facile de rejeter la faute sur son employeur", riposte-t-il ajoutant qu'"en aucun cas", la direction a été sollicitée par Ayalé pour aménager son emploi du temps.
Depuis deux ans, 13 autres salariés dénoncent des pressions quotidiennes. Depuis l'ouverture du magasin, il y a presque deux ans, 13 personnes, licenciées sont en procédure aux prud'hommes. Une dizaine d'autres aurait démissionné. "On nous punissait en nous obligeant à nettoyer les toilettes du personnels et des clients", témoigne Christina, aujourd'hui en arrêt maladie pour dépression. Une humiliation dont se souvient aussi Ayalé à son retour de l'hôpital après sa fausse couche. "Je pensais qu'après mon accident, ils auraient changé, mais non. Un jour, j'ai du faire le ménage pendant 5 heures, alors que ce n'est pas notre rôle."
"Celles qui revenaient d'arrêts maladies étaient brimées". Aurica Stoica, ancienne salariée, raconte avoir été licenciée parce qu'un client était parti sans payer une partie des courses. Elle accuse la direction d'infliger outre des pressions quotidiennes des punitions indignes: "Juste après avoir montré mon certificat médical pour un mal de pied, j'ai été contrainte de ranger des produits et déplacer des chariots pendant plusieurs heures". Celles qui revenaient d'arrêts maladies étaient régulièrement brimées et "assignées aux caisses les plus froides proches de la porte d'entrée", témoigne cette caissière.
Des salariés sous surveillance. Toutes décrivent des pressions permanentes des responsables de la caisse centrale, qui surveillent. Depuis ce poste de contrôle, chaque geste des caissière est surveillé en temps réel via des caméra de vidéosurveillance. "Si on ne porte pas un pack d'eau jusqu'à la caisse, la responsable qui nous voit peut nous demander de le faire" s'insurge Christina. Le directeur de l'entreprise réfute en bloc toutes les accusations et assure que les caissières "peuvent prendre toutes les pauses qu'elles veulent dans une salle très bien équipée", ajoutant que la Cramif (Caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France) a salué les "bonnes conditions de travail" du commerce.
Effectivement, lors de sa visite en mars dernier, le responsable de la Cramif n'avait repéré aucune anomalie mais reconnait que le contrôle concernait uniquement "les installations et machines pour vérifier s'ils n'allaient pas provoquer d'accidents du travail", précisant qu'aucun contrôle n'avait été fait dans la caisse centrale.