"Monsieur Merah, vous avez indiqué lors de votre interpellation, en mars 2012, être musulman pratiquant depuis cinq années. Quel a été l'élément déclencheur de cette foi ?" D'emblée, le président donne le ton. Après avoir écarté toutes les questions ayant de près ou de loin attrait aux croyances et à la radicalisation pendant trois semaines de procès, la journée y est entièrement dédiée. Dans une atmosphère tendue, marquée par les témoignages contradictoires des membres de la famille de l'accusé, on va parler de religion.
"Les mosquées étaient bondées". Abdelkader Merah s'approche du micro. Chemise claire, petites lunettes, longs cheveux attachés derrière la nuque, il semble parfaitement à l'aise. "L'élément déclencheur… Disons, j'ai traîné au quartier, j'ai commis les 400 coups, mais je n'ai pas trouvé la paix intérieure. Je recherchais quelque chose qui pourrait m'apporter ça. Et comme ma famille est musulmane, je me suis dirigée vers l'islam."
" Sabri Essid est arrivé avec la barbe, des habits traditionnels et une Mercedes cabriolet "
La réponse semble simple, mais le président insiste : "n'est-ce pas, aussi, sous l'influence d'autres personnes que vous vous êtes converti ?" Et d'avancer le nom de Sabri Essid, ancienne figure de l'islamisme radical toulousain, qui a depuis rejoint les rangs de l'Etat islamique (EI). Abdelkader Merah hoche la tête. "Il faut que vous compreniez qu'avant, on ne voyait que nos parents qui priaient. La religion pour nous, c'était un truc pour la retraite. Sabri Essid, quand il est arrivé avec la barbe, des habits traditionnels, une Mercedes cabriolet, il a mis une gifle au quartier. Il nous a montré qu'on pouvait avoir une belle voiture, une belle femme, un commerce. Il nous a donné une belle image de l'islam. Et en deux mois, avec la génération des 12-17 ans, toutes les mosquées étaient bondées."
8 à 9 heures de cours d'arabe par jour. En 2009, Abdelkader Merah part pour l'Egypte. "J'étais fraîchement converti à l'islam, je m'ennuyais à Toulouse, mon frère m'avait dit que dans ce pays-là il y avait toute une structure pour apprendre la religion, je me suis dit pourquoi pas." Finalement, il étudie peu. "J'ai participé à deux ou trois cours, mais ça m'a ennuyé. Je me suis surtout promené, j'ai pris l'air, et puis je suis rentré en France."
" On ne peut pas comprendre le Coran sans la langue arabe "
Suit un second voyage, "entre l'étude et le divertissement". Puis deux autres, entièrement centrés sur la religion. "Je passais tout mon temps à participer à des cours de langue arabe." Parmi les autres élèves de l'université qu'il fréquente figurent sa soeur Souad, mais aussi Fabien Clain, qui deviendra porte-parole de l'EI. "On discutait un peu comme ça, quand on avait dix minutes avant la prière. Mais dans la vie, j'étais toujours avec ma femme. Et je vous dis, j'étudiais 8 à 9 heures par jour." Dans quel objectif ? "La religion. On ne peut pas comprendre le Coran sans la langue arabe."
"Je suis musulman orthodoxe". A Toulouse puis en Egypte, Abdelkader Merah s'inscrivait-il dans la "mouvance" salafiste décrite par de nombreux experts à la barre ? La question l'amuse. "On a dépeint un groupe fermé, avec Olivier Corel (l'"émir blanc" d'Artigat, jamais condamné par la justice, ndlr) comme Gourou, les frères Clain comme idéologues… On a parlé de choses que je n'ai jamais vues." Et de livrer une version plus nuancée. "J'allais chez eux, on mangeait. Autour de la table, il y avait plusieurs courants religieux. Pas de clan, et rien de fermé. De toute façon, je ne me considère pas comme un salafiste radical. Je suis musulman orthodoxe".
Le président épluche les liasses de papiers devant lui : "il y a quand même des documents qui ont été retrouvés dans votre ordinateur et votre disque dur…" Et de citer plusieurs textes appelant à prendre les armes. "C'est un cocktail", commente Abdelkader Merah. "90% de documents religieux, 10% sur le djihad. En fait, à chaque fois que je croisais un frère, je prenais tout ce qu'il y avait sur son disque dur, on s'échangeait les trucs comme ça." Quid du dossier "CD Mohamed", plein de "chants djihadistes" ? "J'ai du les prendre à quelqu'un qui s'appelait Mohamed."
" "Je ne reconnais aucunement les lois forgées par l'homme" "
Dans l'ordinateur d'Abdelkader Merah, les enquêteurs ont aussi retrouvé son testament. "C'est normal, on en fait tous un", explique calmement l'accusé. Dans sa bibliothèque "dix exemplaires du même ouvrage religieux", note le président, avançant l'hypothèse d'un réseau de distribution. "Ah non, ça c'est une erreur d'interprétation", balaye l'aîné du tueur au scooter. "C'est pas dix exemplaires, mais dix tomes. C'est comme… Le Comte de Monte-Cristo, il est en deux tomes."
"Il faut que je pose les assises de mon idéologie". Le président enchaîne : "l'autre jour, un policier nous parlait de votre engagement radical…". "Je ne dirai pas radical", l'interrompt Abdelkader Merah, sur un ton presque pédagogue. "Il va falloir que je pose les assises de mon idéologie pour que vous compreniez qui je suis : je ne reconnais aucunement les lois forgées par l'homme, exclusivement celles légiférées par le créateur. Les lois de l'islam." Sur le banc des parties civiles, un homme souffle : "il manquait plus que ça".
"Mais je ne vis pas en marge de la société pour autant", se défend le frère de Mohamed Merah. "Je suis inscrit aux Assedic, à l'ANPE, ce genre de choses. Je leur explique que je ne suis pas marié selon les lois françaises, mais religieusement. On ne me l'a jamais reproché." Serait-il plus heureux au sein d'un Etat islamique ? "Je pense que oui, comme les démocrates souhaitent vivre en démocratie", répond-il sans se déconcentrer, niant avoir jamais fait allégeance "à personne ni aucune organisation comme al-Qaïda."
L'accusé slalome entre les questions, niant systématiquement être favorable à une action violente "offensive" : "faire le djihad, ce n'est pas crier Allah Akbar et tuer tout le monde". Le président sort sa dernière carte : pourquoi, alors, avoir "refusé de se prononcer" pour qualifier les tueries de Toulouse et de Montauban lorsque les enquêteurs l'ont interrogé sur le sujet, en mars 2012 ? "On m'a annoncé que mon petit frère était l'auteur des faits, et qu'il était mort, le tout de manière très violente", se souvient Abdelkader Merah. "J'étais choqué, j'ai pas voulu le déshonorer. Mais au fond de moi, je savais que c'étaient des actes condamnables. Qui autorise à tuer des enfants ? C'est interdit par l'islam."