Affaire Dupont de Ligonnès : "une disparition parfaite"

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C.P.-R. , modifié à
TROIS QUESTIONS À - Dans son ouvrage "Le Disparu", la journaliste Anne-Sophie Martin met en lumière les nombreux écrits de Xavier Dupont de Ligonnès. 

Les années passent et le mystère ne faiblit pas. Près de cinq ans et demi après la découverte, sous la terrasse familiale, des corps d'Agnès Dupont de Ligonnès et de ses quatre enfants, le 21 avril 2011, à Nantes, le flou demeure autour de la disparition du suspect principal, le père et époux, Xavier Dupont de Ligonnès.

Trois ans durant, la journaliste Anne-Sophie Martin a enquêté, fouillé, et récolté des éléments sur cette affaire qui ne cesse de fasciner, pour en tirer un ouvrage intitulé Le Disparu, publié aux éditions Ring. A partir des écrits abondants du suspect clef, l'auteur établit un récit sous forme romanesque et dessine, documents authentiques à l'appui, la trame d'une fuite parfaitement orchestrée. Celle qui est aussi secrétaire générale de l'Association de la presse judiciaire a répondu aux questions d'Europe 1.

Votre ouvrage se base principalement sur des écrits authentiques (notamment un courriel morbide de Xavier Dupont de Ligonnès à deux amis, quelques mois avant le drame. "Au pied du mur", il écrit : "Une décision définitive à prendre : suicide seul ou collectif") et à partir desquels vous avez reconstruit un récit romanesque. Pourquoi avoir procédé de cette façon ? 

J'apporte un éclairage sur la façon dont cette idée est née, a germé dans son esprit. Dans ce livre, j'ai mis bout à bout tous les textes que Xavier Dupont de Ligonnès avait adressés à sa femme, à ses deux amis… Certains documents – pas tous - étaient déjà connus des initiés, mais n'avaient jamais été interprétés de cette façon. C'est le rapprochement que je fais de ces écrits qui dessine la trame d'un passage à l'acte : comme si vous aviez l'annonce de la commission des faits à quelques mois du crime. La correspondance entre ses écrits et les faits est frappante. Par exemple, dans la dernière lettre à sa maîtresse, tout début avril 2011, il écrit : "Personne ne pourra me retrouver". 

Pourquoi avoir choisi de raconter cette histoire en particulier, sur laquelle beaucoup de choses ont déjà été dites ?  

J'avais travaillé dessus plusieurs mois pour Envoyé Spécial, deux ans après les faits, en 2013. Depuis, l'idée m'a toujours accompagnée, préoccupée. Surtout, il ne se passe jamais rien dans ce dossier, sauf de fausses informations, et j'ai acquis la conviction que les affaires mystérieuses, non élucidées, pouvaient susciter un intérêt considérable, d'autant plus celle-ci, qui recouvre plein d'aspects exceptionnels.

D'abord le milieu dans lequel cela s'est passé : un milieu bourgeois catholique, des notables de province, bien sous tous rapports, où survient une tuerie familiale. La personnalité de l'absent sort totalement de la route, c'est quelqu'un qui n'était même pas connu pour avoir brûlé un feu rouge et qui se retrouve soupçonné d'avoir commis un quintuple meurtre. Et puis, il laisse beaucoup trop de traces. Or, toutes ces traces ont contribué à brouiller les pistes, c'est un paradoxe assez exceptionnel. Il y a quelque chose de totalement insaisissable dans cette affaire depuis cinq ans et demi : plus on avançait, moins on en savait.  

Vous surnommez Xavier Dupont de Ligonnès "l'absent", "le disparu"… Et à la fin de l'ouvrage, vous lui offrez une nouvelle vie, à l'étranger. Quelle est votre intime conviction ?

Ce n'est pas un crime parfait, car on a retrouvé les corps, qui étaient toutefois très bien cachés. En revanche, la disparition, elle, est parfaite : cinq ans et demi après tout le monde se demande encore s'il est mort ou s'il est vivant. Sa construction psychologique me laisse à penser que ce n'est pas quelqu'un de suicidaire.