Affaire "Julie" : "L'accusation ne vaut pas preuve", martèle un expert psychiatre

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Margaux Lannuzel

Invité de Patrick Cohen, jeudi sur Europe 1, Paul Bensussan, l'un des experts psychiatres à avoir examiné "Julie", jeune femme qui accuse une vingtaine de pompiers de la caserne de Bourg-la-Reine de l'avoir violée quand elle avait 14 ans, a répondu aux critiques dont il fait l'objet de la part des soutiens de la plaignante.

Il est l'un des psychiatres qui ont examiné Julie, une jeune femme qui accuse une vingtaine de pompiers de la caserne de Bourg-la-Reine de l'avoir violée alors qu'elle était âgée de 14 ans. Et depuis que son nom est associé à cette affaire, Paul Bensussan, expert agréé par la Cour de cassation et la Cour pénale internationale, est régulièrement pris à partie par des associations féministes, réclamant des poursuites pour viol. Pour l'heure, trois hommes sont renvoyés devant le tribunal correctionnel dans cette affaire, pour atteinte sexuelle sur mineure. Des critiques qui ne suscitent pas de remise en question chez le spécialiste, "persuadé que l'accusation ne vaut pas preuve et que le travail de l'instruction doit être respecté", explique-t-il au micro d'Europe 1. 

"Un slogan est souvent simple, voire simpliste"

Dans son expertise pour la Cour de cassation, qui a validé la décision du magistrat instructeur et celle de la Cour d'appel de ne pas poursuivre pour viol, Paul Bensussan a décelé chez Julie des traits de personnalité pathologiques, avec propension à l'affabulation. Soucieux de respecter "strictement" le devoir de réserve et le secret professionnel, le psychiatre, invité de Patrick Cohen, ne s'exprime pas davantage sur le fond du dossier, qui n'a pas encore été jugé. "En revanche, je suis très à l'aise pour vous parler du climat autour des crimes sexuels, qui sont aujourd'hui considérés comme la violence ultime et dans lesquels on se retrouve confronté non pas à des confrères qui sont d'avis divergents, mais à des militants", dénonce-t-il. 

Or, "le militantisme, c'est quelque chose qui se résume à coups de slogans. Et un slogan, c'est une formule courte destinée à propager une idée, à soutenir une action. C'est souvent simple, voire simpliste." Un adjectif que l'expert oppose à la complexité de son propre rapport dans l'affaire "Julie", long de 145 pages. "J'ai la prétention de dire qu'il est fouillé, technique et nuancé."

"Plus besoin d'experts : un bon magnétophone va suffire"

Mais pour les soutiens de Julie, qui dénoncent un déni de justice, cette affaire - dont les faits remontent à 2009 - est devenu le symbole d'une justice patriarcale, n'accordant pas suffisamment de crédit à la parole des victimes. Et c'est justement là que le bât blesse selon Paul Bensussan. "Les experts, comme les juges, visent à approcher la singularité d'un cas", rappelle-t-il. "On ne peut pas résumer chaque dossier au simple fait que l'air du temps a changé. (…) Un expert qui tiendrait des propos péremptoires, dogmatiques, même pour la plus noble des causes, ne peut plus faire d'expertise. Qu'il se contente de faire du militantisme, puisqu'on connaît déjà son avis avant même qu'il soit confronté au dossier."

Aux yeux de l'expert psychiatre, la pression qui pèse sur les différents maillons de la chaîne judiciaire dans ce type de dossier ne doit donc pas influer sur le déroulé de la procédure. "Parce que si on dit que l'accusation vaut preuve, il ne faut plus faire d'expertise. On a même plus besoin d'experts : un bon magnétophone va suffire", argumente-t-il. "J'entendais Céline Piques, porte parole d'Osez le féminisme - et qui, à ma connaissance, n'est ni juriste ni psychiatre (…) s'indigner de ma présence sur les listes [d'experts agréés, ndlr] en disant que ça posait un gros problème. Mais heureusement que ce n'est pas Céline Piques qui choisit les bons et les mauvais experts !"

"La recherche de la vérité doit être la préoccupation première"

Comment, alors, apaiser le débat dans ce genre de dossier sensible ? Pour Paul Bensussan, une imprescriptibilité des crimes sexuels sur mineurs n'est pas la solution, car elle verrait, selon lui, se multiplier des procédures très longues et à l'issue incertaine. "Le procès peut être un immense soulagement pour une victime, mais il peut aussi être extrêmement bouleversant, notamment si, par manque de preuves, cela se termine par un acquittement ou un non-lieu", assure-t-il. Là encore, le psychiatre appelle donc à la nuance. "Ça ne peut pas être dogmatique et la recherche de la vérité doit être la préoccupation première."

Quant à l'instauration d'un âge en-deçà duquel tout acte sexuel serait considéré comme un viol par la justice, sans que la contrainte, menace, violence ou surprise ne soit caractérisée, "cela ne me choquerait pas", commente l'expert. "Au moins il y aurait une limite claire et objective. Ce qui me gêne dans les expertises psychiatriques que je dénonce et que je qualifie de militantes, c'est qu'elles sont subjectives et idéologiques. Là, une date de naissance suffirait. C'est peut-être regrettable pour la singularité et la complexité des cas, mais ça au moins le mérite d'objectiver la chose."