"Tariq Ramadan a maintenu sa position, fermement : il n'a jamais eu de relations sexuelles avec cette plaignante." L'affirmation, martelée mardi par l'avocat de l'intellectuel musulman, Me Emmanuel Marsigny, est plus que jamais fragilisée. Quelques jours après une confrontation entre son client et Christelle*, l'une des deux femmes qui l'accusent de viols, la justice a rejeté sa troisième demande de remise en liberté, mercredi. Pour motiver cette décision, les juges s'appuient sur le contenu explicite d'un rapport d'expertise informatique daté du 24 septembre dernier, qu'Europe 1 a pu consulter. Il révèle plusieurs failles dans la stratégie de défense de Tariq Ramadan, qui a bien proposé à Christelle de le rejoindre dans sa chambre d'hôtel le 9 octobre 2009, jour où elle affirme avoir été violée.
Des mois d'échanges très soutenus
Les enquêteurs ont notamment examiné le contenu du téléphone portable de Christelle, un LG KS360. Ils y ont trouvé 255 SMS envoyés par Tariq Ramadan entre le 30 août 2009 et le 15 décembre. Sur la même période, la plaignante lui a envoyé 144 messages, mais ceux-ci n'ont pu être horodatés. Le rapport les retranscrit donc dans le désordre, tandis que ceux rédigés par l'intellectuel dessinent la chronologie de mois d'échanges très soutenus. Tantôt doux - "je pense à toi mon coeur" -, tantôt sexuels, violents et révélateurs d'un comportement de domination, les SMS sont souvent envoyés par cinq ou six. Ils vont bien au-delà du "flirt" évoqué par le mis en cause devant la justice.
Le 9 septembre 2009, Tariq Ramadan réclame par exemple des photos à Christelle. "Fais les en pensant à tout et offre-toi comme tu aimerais t'offrir"**, écrit-il. Dans le téléphone, les enquêteurs ont également retrouvé une photo d'une poitrine de femme, prise ce jour-là, avec un téléphone semblable à celui de la plaignante. Le 18 septembre, c'est lui qui propose une rencontre : "Bonjour ma belle.Je suis à Lyon le 9 et 10 octobre. Dis moi si on peut se voir." Un autre message précise : "tu devras tout faire… tu es prête ?". Le 8 octobre, Tariq Ramadan précise qu'il enverra à son interlocutrice "le nom et l'adresse de l'hôtel dès que c'est confirmé".
Deux billets d'avion différents
Christelle affirme avoir été violée par Tariq Ramadan dans une chambre d'hôtel du Hilton, à Lyon, le 9 octobre 2009 dans l'après-midi. Pour la contredire, la défense du prédicateur avait présenté au dossier judiciaire une réservation de billet d'avion indiquant une arrivée en provenance de Londres à 18h35. Dans l'Ipad du mis en cause, les enquêteurs ont bien retrouvé la trace de ce billet d'avion. Mais également un autre billet à son nom, de Jerez de la Frontera, en Espagne, à Lyon, avec un atterrissage le matin, compatible avec le récit de la plaignante. Cet élément vient confirmer le témoignage de l'ancien responsable des séminaires de l'Union des jeunes musulmans (UJM), Yassine Djemal, qui a déjà raconté aux enquêteurs être venu chercher Tariq Ramadan à l'aéroport de Lyon à 11h15 ce jour-là.
Des SMS évoquant des violences
Que dit le rapport d'expertise sur la journée des faits à proprement parler ? Le 9 octobre, Tariq Ramadan adresse à Christelle plusieurs SMS pour organiser leur rendez-vous. "Alors, alors. Tu viendras, tu es prête. Je devrais t'attendre au restaurant en bas car il faut une carte pour monter dans l'ascenseur", lui écrit-il notamment, sous-entendant qu'il l'invitera à rejoindre sa chambre. Or, devant les enquêteurs, l'intellectuel a toujours affirmé n'avoir rencontré la plaignante que brièvement ce jour-là, dans le hall de l'hôtel lyonnais qu'elle évoque. Christelle accuse elle Tariq Ramadan d'un viol "d'une grande brutalité".
Le lendemain des faits, le prédicateur envoie un premier message à la plaignante vers 19 heures. "J'ai senti ta gêne… Désolée pour ma "violence". J'ai aimé… Tu en veux encore ? Pas déçue ?". Christelle ne répond pas. Vers 23 heures, elle reçoit un deuxième SMS : "tu n'as pas aimé… Je suis désolé. Désolé."
"Une relation consentie" pour l'avocat de Tariq Ramadan
Interrogé par Europe 1, l’avocat de Tariq Ramadan estime que cette expertise pointe surtout "les mensonges de Christelle", citant des messages doux - non datés - de la plaignante. "Très clairement cela démontre qu’il s’agissait d’une relation consentie" martèle Me Emmanuel Marsigny, indiquant que Tariq Ramadan va demander à être auditionné par les juges "très rapidement". "Il est regrettable qu’en l’état les magistrats aient préféré voir plutôt une contradiction chez monsieur Ramadan que les contradictions de la partie civile", conclut-il.
*Prénom d'emprunt
**Les fautes d'orthographe présentes dans les SMS ont été corrigées