L'enjeu de l'interrogatoire était de déterminer dans quel état de santé se trouvait Adama Traoré avant l'arrivée des gendarmes, alors que les derniers experts judiciaires, contesté par les médecins de la famille, ont estimé que son pronostic vital était "engagé de façon irréversible" avant l'arrestation.
L'audition jeudi d'un témoin clé dans l'enquête sur la mort d'Adama Traoré, décédé en 2016 lors de son interpellation par trois gendarmes, a donné lieu à deux comptes rendus contradictoires de la part des avocats de la défense et de la famille, devant la presse. Cet homme, chez qui Adama Traoré s'était réfugié le 19 juillet 2016 à Beaumont-sur-Oise (Val-d'Oise) juste avant son arrestation, était entendu pour la première fois par les magistrats instructeurs, en présence des avocats.
A l'issue de cette audition de plus de quatre heures, chaque camp a livré une version diamétralement opposée. D'un côté, Me Yassine Bouzrou, l'avocat des parties civiles, a affirmé que ce témoin s'était "rétracté" face aux juges d'instruction. "Il a affirmé que les éléments contenus dans son procès-verbal d'audition (du 1er août 2016, ndlr) étaient faux. (...) Il a dit qu'Adama Traoré ne souffrait pas de détresse respiratoire, ne respirait pas bruyamment avant l'interpellation", a-t-il relaté.
Selon lui, ces propos remettent en cause les expertises médicales judiciaires, qui ont mis hors de cause les gendarmes dans la mort de ce jeune homme noir de 24 ans, érigé en symbole des violences policières. Les experts ont considéré que le pronostic vital était "engagé de façon irréversible" avant l'arrestation, en s'appuyant notamment sur les déclarations initiales de ce témoin.
Deux versions diamétralement opposées
Dix jours après les faits, ce dernier avait raconté aux enquêteurs qu'il avait trouvé Adama assis devant sa porte, "essoufflé" après une course-poursuite en pleine canicule. "La seule chose qu'il me dit, c'est: 'tire-moi'. Je ne l'ai jamais vu dans un état pareil. Il n'arrivait pas à parler. Il respirait bruyamment", avait-il déclaré selon le procès-verbal.
Mais les avocats des gendarmes, qui ont succédé à leur confrère devant les micros des journalistes, ont donné une toute autre version de la même audition. "Ce témoin a conforté la version qui avait été la sienne précédemment, et notamment sur un élément extrêmement important qui est l'état d'épuisement dans lequel Adama Traoré arrive à son domicile, en ayant même indiqué aujourd'hui qu'Adama Traoré lui aurait dit, avant que les gendarmes n'interviennent et ne l'interpellent, la phrase suivante : 'Je vais mourir'", a rapporté Me Rodolphe Bosselut.
"C'est un élément capital qui vient conforter les expertises médicales", a-t-il poursuivi. Pour les experts judiciaires, c'est une maladie génétique, la drépanocytose, associée à une pathologie rare, la sarcoïdose, qui a entraîné une asphyxie d'Adama Traoré "à l'occasion d'un épisode de stress et d'effort". Ces conclusions ont été balayées par les médecins choisis par la famille, dont un spécialiste de la sarcoïdose, ce qui a relancé les investigations qui s'orientaient vers un non-lieu au printemps 2019.