Affaire Urvoas : "Ça n'est pas uniquement un problème éthique, c'est un problème de droit"

  • Copié
R.Da. , modifié à
Pour le politologue Olivier Duhamel, les soupçons qui pèsent sur l'ancien garde des Sceaux, accusé d'avoir brisé le secret de l'instruction, reposent la question de la porosité entre le parquet et l'exécutif. 
INTERVIEW

"Si les faits étaient avérés, évidemment ce serait une affaire très grave en terme d'éthique et de comportement", a déclaré mercredi la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, alors que l'ancien ministre de la Justice Jean-Jacques Urvoas est soupçonné d'avoir transmis un rapport confidentiel au député Thierry Solère sur l'enquête qui le visait. "Ça n'est pas uniquement un problème éthique. C'est un problème de droit", a réagit jeudi, au micro d'Europe Bonjour, le politologue Olivier Duhamel. "Est-ce qu'une infraction a été commise ou pas ? La garde des Sceaux, ministre de la Justice, ne peut pas se prononcer sur ce qui est susceptible de devenir une affaire. Dire : 'c'est un problème éthique', c'est une manière de répondre sans prendre le risque de s'immiscer dans la procédure parce que l'éthique ne relève évidemment pas de la justice", explique-t-il.

Les pressions du ministère. Pour ce professeur de droit constitutionnel, les soupçons qui pèsent sur Jean-Jacques Urvoas remettent aussi en cause la séparation même des pouvoirs. "On dit que le parquet est indépendant parce que le ministère ne s'occupe pas des affaires individuelles. Il ne s'occupe pas des affaires individuelles, mais il est informé. Et quand une affaire est sensible, ça remonte", pointe-t-il, en évoquant les éventuelles pression qu'un responsable politique peut dès alors exercer sur un magistrat.

La Cour de justice de la République. Selon une information du Canard enchaîné, Jean-Jacques Urvoas aurait envoyé pendant la présidentielle à son ami Thierry Solère, député des Hauts-de-Seine, une synthèse de la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) sur l'enquête pour suspicion de fraude fiscale dont il fait l'objet, via la messagerie cryptée Telegram. Dans la foulée de ces révélations, la Cour de justice de la République, seule habilitée à juger les actes des membres du gouvernement, a été saisie concernant une possible "violation de secret professionnel".

"La procédure est compliquée parce qu'il a des va-et-vient entre le procureur, la Commission de requête, à nouveau le procureur et la Commission d'instruction", relève Olivier Duhamel. "La Commission des requêtes va donner un avis, qui va retourner auprès du procureur général de la Cour de cassation, qui va décider, ou non, de suivre cet avis. S'il le suit, il va saisir la Commission d'instruction : il y aura instruction et celle-ci, composée de magistrats, décidera, ou non, de poursuivre. À chaque étape c'est : on arrête ou on continue. Et si on continue jusqu'au bout, on va jusqu'à la Cour de justice de la République".

Pas de précédents. "Il y a eu des précédents d'affaires jugées par la Cour de justice de la République : l'affaire Lagarde, l'affaire Pasqua, l'affaire Gillibert et, au tout début, l'affaire du sang contaminé qui est la raison pour laquelle on a créé cette cour de justice [en 1993, ndlr]", rappelle le politologue. "Mais des cas de ministres de la Justice commettant l'imprudence de laisser passer un document, des traces, et que celui qui reçoit ces traces les garde… je suis certain qu'il n'y a pas de précédents", conclut-il.