Affaire Sauvage : les pétitions en ligne ont-elles vraiment un impact ?

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La pétition de soutien à Jacqueline Sauvage réunit plus de 385.000 "signataires". Suffisant pour obtenir une grâce présidentielle ?

François Hollande recevra vendredi à l'Elysée les filles et les avocates de Jacqueline Sauvage. Ces derniers réclament une grâce présidentielle après la condamnation à 10 ans de réclusion de cette femme de 66 ans, pour le meurtre de son mari violent et incestueux. L'impressionnante mobilisation politique et sociale a probablement joué un rôle dans la décision du chef de l'Etat de recevoir les partisans de la détenue. La pétition sur change.org et ses plus de 385.000 "signataires" jeudi soir, aussi.

>> Mais de telles formes de pétitions ont-elles vraiment un impact sur les décisions politiques ?

La pétition en ligne n'a aucun impact juridique… Dans le droit français, les pétitions en ligne ne servent à rien. En France, les pétitions tout court ont d'ailleurs peu d'impact. Depuis la loi constitutionnelle de 2008, le Conseil économique, social et environnemental peut être saisi après une pétition papier réunissant… 500.000 signataires ! Ce dernier est alors obligé de se pencher sur le sujet et de faire parvenir son avis au gouvernement. Mais ce n'est qu'à titre consultatif. On est loin de la logique anglo-saxonne : en Angleterre, par exemple, le Parlement doit débattre du sujet si une pétition rassemble 100.000 signatures; aux Etats-Unis, c'est la Maison Blanche elle-même qui doit se prononcer après une pétition de… 25.000 signataires ! Quant aux pétitions purement numériques, elles n'ont absolument aucun impact juridique. Car les lanceurs de pétition et les signataires ont la possibilité de rester anonymes. Et les risques de falsification existent, même si les sites s'engagent à traquer les "tricheurs" (ceux qui votent plusieurs fois par exemple).

… Mais cela a déjà fait pencher la balance. Toutefois, si elles n'ont aucun poids juridique, les pétitions en ligne, proposées par Change.org (le leader en France), Avaaz ou encore Mesopinions.com, font parfois bouger les lignes. Récemment, par exemple, François Hollande a répondu lui-même à l'auteur d'une pétition en numérique (75.000 signataires) demandant la "création d’un mémorial en hommage aux personnes handicapées victimes du régime nazi et de Vichy". Le chef de l'Etat a finalement déclaré "partager leur volonté" et annoncé la création d'une commission de réflexion sur le sujet. Autre exemple plus connu : celui de la nationalisation de Lassana Bathily, le "héros de l'Hyper Casher", qui a obtenu la nationalité française après une pétition réunissant plus de 450.000 signatures.

Plus localement, d'autres pétitions en ligne ont également pu faire pencher la balance : ainsi, en octobre 2014, une équipe de foot de rugby féminin a obtenu le maintien d'un match après une pétition en ligne réunissant 252 signatures. La municipalité avait à l'origine décidé d'interdire la rencontre pour la remplacer par un match de foot. En 2013, enfin, le maire de Nice Christian Estrosi avait proposé de faire embaucher par la mairie une assistante de vie scolaire (AVS) "à vie" pour venir en aide à une petite de neuf ans victime d'une maladie orpheline, après une pétition qui avait rassemblé 31.000 signatures.   

Quid de celle de Jacqueline Sauvage ? Le flou n'en reste pas moins entier sur la décision de François Hollande concernant Jacqueline Sauvage. Car c'est la demande même de la pétition qui est inédite : gracier une personne condamnée pour meurtre. En 2002, une pétition (papier) de 500.000 personnes avait conduit Jacques Chirac à gracier partiellement José Bové, condamné pour avoir fauché des champs d'OGM. Mais cette fois, les faits reprochés sont d'une toute autre gravité. Seule certitude : la pétition de soutien à Jacqueline Sauvage est d'une ampleur rare pour une pétition numérique.

L'an dernier, seules 20 pétitions lancées en France sur Change.org avaient dépassé les 100.000 signataires. La pétition de soutien à Jacqueline Sauvage figure parmi les plus fédératrices en France, derrière celle en soutien à Lassana Bathily et celle… de la journaliste Elise Lucet, qui bat des records avec 490.000 signataires. Celle-ci s'oppose à la création d'un droit du "secret des affaires", qui risque selon elle de dissuader les journalistes d'enquêter sur les entreprises. Or, malgré le succès de la pétition, le secret des affaires n'est pas enterré et il est toujours débattu au Parlement européen.