Son nom avait fuité dès vendredi après-midi, quelques heures après l'agression de quatre militaires au Carrousel du Louvre, à Paris. Grâce à l'exploitation d'un téléphone portable retrouvé dans le sac de l'assaillant, les enquêteurs avaient identifié un Égyptien de 29 ans, fortement soupçonné d'être l'auteur de l'attaque. Mercredi, l'individu, toujours hospitalisé, a été "formellement identifié" comme étant Abdhallah E.. À plusieurs égards, l'homme présente un profil étonnant.
Une famille aisée. Originaire de Mansoura, dans le delta du Nil, le jeune Égyptien a grandi dans une famille plutôt aisée, pratiquant un islam modéré, selon son père. L'un de ses frères est policier. De son côté, Abdhallah E. a fait des études de droit, à l'université de la ville, dont il est sorti diplômé vers 2010, avant de gagner les Emirats arabes unis. Après les printemps arabes de 2011, qui ont chassé successivement du pouvoir Zine El-Abidine Ben Ali en Tunisie et Hosni Moubarak en Egypte, ses tweets laissent penser que le jeune juriste a vu d'un bon oeil l'arrivée des islamistes au pouvoir.
Des photos postées sur les réseaux sociaux montrent un jeune homme brun, souriant, cheveux courts, en tenue de sport ou devant son ordinateur. Chez son père, quelques clichés de lui datant de 2009 et 2010, en costume cravate, le regard doux derrière de fines lunettes, renvoient l'image de quelqu'un de sérieux. À Charjah, l'un des émirats les plus conservateurs, Abdallah E. était cadre commercial. Au moment de l'agression des militaires, son père et son épouse, enceinte de leur deuxième enfant, le croyaient en "voyage d'affaires" à Paris, où il devait terminer son séjour par une visite au Louvre.
Un double visage. Peu à peu, les enquêteurs voient se dessiner le double visage du jeune Égyptien, que ses proches n'ont pas vu se radicaliser. "Pas de négociations, pas de compromis, fermeté et pas de retraite", a pourtant twitté Abdallah E. quelques minutes avant l'attaque du Louvre, après avoir cité un verset du Coran promettant le paradis à ceux qui sont tués en combattant pour Dieu. A partir de ses tweets, les investigations dressent le portrait d'un jeune homme ayant soutenu l'islamiste Mohamed Morsi après son élection, qui a assisté en 2014 à Dubaï à une conférence d'un très controversé prêcheur indien, Zakir Naik. Et qui a attendu le dernier moment pour adopter un ton exalté, peut-être pour masquer ses intentions. Ses tweets comme les tampons de son passeport attestent, en outre, de séjours réguliers en Égypte, de 2012 à 2016, mais aussi en Turquie ou en Arabie Saoudite.
Le séjour d'Abdallah E. à Paris a été minutieusement préparé : visa demandé en octobre, obtenu en novembre pour un mois à compter du 20 janvier 2017. Arrivé à Paris le 26 janvier, il a emménagé dans un appartement à 1.700 euros la semaine, à deux pas des Champs-Élysées, pour y établir un "camp de base". Deux jours plus tard, l'homme a acheté deux machettes dans une armurerie de Bastille, payées en liquide. C'est armé de ces armes qu'il s'est jeté sur les militaires, vêtu d'un Tee-shirt noir à tête de mort, avant d'être gravement blessé lorsque l'un d'entre eux a riposté par balles.
Une ligne de défense étonnante. Pour le père du jeune Égyptien, un haut gradé de la police à la retraite, ces faits ne peuvent pas avoir été commis par "un garçon simple", mesurant 1,65 m. Face aux enquêteurs, Abdallah E. a, lui, opté pour une ligne de défense pour le moins surprenante, expliquant n'avoir pas voulu s'en prendre aux militaires mais mener une action fortement symbolique contre la France, en dégradant des œuvres du musée avec des bombes de peintures, retrouvées dans son sac à dos. Dans l'appartement qu'il louait, aucune allégeance à un quelconque groupe djihadiste n'a été retrouvé. Lors de son interrogatoire, l'homme a en outre indiqué avoir agi "de son plein gré", "sans avoir été commandité par le groupe État islamique."
L'état de santé du suspect s'étant fortement dégradé, mardi, sa garde à vue a été levée. Lorsque son état s'améliorera, il devrait être présenté à un juge d'instruction en vue d'une mise en examen.