Agriculteurs, ils veulent abattre eux-mêmes leurs animaux

© THIERRY ZOCCOLAN / AFP
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La question de l’abattage à la ferme doit être abordée lors du Salon de l’agriculture. Si la pratique réunit de plus en plus de soutiens, des doutes pèsent sur sa faisabilité.

Ils militent pour que la mort de leurs animaux "soit à la hauteur de leur vie". Les représentants du collectif "Quand l’abattoir vient à la ferme" viendront porter leurs idées le 4 mars prochain au Salon de l’agriculture, dans le cadre d’une table ronde sur l’abattage de proximité. Leur combat ? Permettre aux éleveurs de pouvoir abattre leurs animaux dans leur propre ferme, afin de leur éviter le stress du transport et de pouvoir leur assurer une fin de vie dans les meilleures conditions. Créé il y a huit mois, le collectif "Quand l’abattoir vient à la ferme" revendique pour sa part plus de 400 soutiens, dont 250 éleveurs. Aujourd’hui, ils affirment que les outils existent pour la légalisation de cette pratique. Leur combat a-t-il une chance de porter ses fruits ? Zoom sur cette pratique soucieuse du bien-être animal, mais qui n’a pas encore levé tous les doutes sur sa faisabilité.

  • Objectif affiché : le bien-être des animaux, de la naissance à la mort

"Le fil conducteur de mon élevage, c’est que mes brebis et mes agneaux soient biens et qu’ils aient une belle vie. Mais au moment de les mettre dans la remorque qui les mène à l’abattoir, à un peu plus d’une heure de route, il y a quelque chose qui ne va pas"¸ raconte Murielle Depouhon, agricultrice près de Digne (Alpes-de-Haute-Provence), sur le site du collectif. "C’est difficile : On doit les amener la veille, les confier à des personnes que les bêtes ne connaissent pas... Cela nous pose problème. J’ai envie que les choses puissent changer", poursuit-elle.

L’argumentaire du collectif "Quand l’abattoir vient à la ferme" se construit autour de trois axes :

- L’abattage traditionnel nécessite de transporter les animaux pendant parfois plusieurs heures, ce qui provoque du stress et diminue la qualité de la viande

- Les éleveurs veulent pouvoir s’assurer que leurs animaux sont abattus dans des conditions dignes, surtout après les divers scandales récents

- Ils veulent enfin pouvoir accomplir ce geste eux-mêmes, car il est hautement symbolique pour de nombreux éleveurs. "Pour les éleveurs, tuer un animal n’est pas un acte anodin. On doit prendre le temps de rassurer l’animal, de l’accompagner, de lui parler, d’organiser une forme de rituel, c’est-à-dire prendre le temps de lui dire ‘adieu’ sous une forme ou sous une autre. L’abattoir industriel interdit cette phase de réflexion, cadences obligent", défend le collectif sur son site.

  • Que dit la loi aujourd’hui ?

Problème : aujourd’hui, abattre son animal soi-même est passible de six mois de prison et 15.000 euros d’amende. Il existe des dérogations possibles pour le porc, les ovins ou les volailles, mais uniquement pour un usage personnel ou dans des cas très particuliers, comme lors de l’Aïd el-Kébir par exemple. L’abattage à usage commercial, en effet, doit faire l’objet de contrôles vétérinaires et sanitaires drastiques. Et seuls les abattoirs agréés par l’Etat sont soumis à ces contrôles : il n’y a pas, pour l’instant, suffisamment de vétérinaires et d’inspecteurs agréés pour contrôler chaque ferme une par une. "Je préfère avoir 259 établissements contrôlés, dans lesquels on peut investir pour améliorer le bien-être animal, plutôt que de disséminer des abattoirs partout au nom de la proximité", avait défendu le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, devant une commission d’enquête parlementaire, en juin dernier.

Stéphane Dinard, éleveur de veaux et de cochon en Dordogne et membre du collectif, est le seul à affirmer publiquement qu’il brave la loi. Depuis dix ans, il abat lui-même ses animaux, en plein air, après les avoir étourdis. Il a investi près de 30.000 euros dans un laboratoire de transformation. Pendant une décennie, il revendait ses produits de manière clandestine, à quelques clients consentants. Mais il y a huit mois, les services vétérinaires agréés de sa région l’ont sommé de cesser de tuer ses bêtes, sous peine de porter plainte.

"L’interdiction d’abattre mes animaux dans ma ferme m’empêche de développer correctement mon exploitation et pèse sur la pérennité de mon activité", regrettait-il, en juin dernier, devant une commission d’enquête parlementaire étudiant les conditions d’abattage en France. "Nous sommes très attachés à nos animaux, nous les aimons, nous les respectons, nous passons tout notre temps avec eux, depuis leur naissance à la ferme jusqu’à l’abattage. Ce qui me pose problème, ce n’est pas la mise à mort d’un animal que j’ai élevé, mais le stress qu’il va subir, du chargement dans le camion de transport jusqu’à l’attente dans l’abattoir. Il va quitter le champ où il est né pour se trouver confronté à un lieu totalement inconnu et néfaste. Pour moi, il est douloureux d’abandonner mes animaux", développait-il. Aujourd’hui, il a officiellement dû arrêter son métier d’éleveur, pour travailler dans une association et continuer à "nourrir ses bêtes".

  • Leur combat a-t-il une chance de porter ?

Aujourd’hui, les membres du collectif demandent la mise en place "d’abattoirs ambulants" : des camions équipés pour l’abattage qui se rendraient chez les agriculteurs désireux d’abattre leurs animaux. Le principe est déjà expérimenté en Suède, en Hongrie ou en Californie et permet de transporter de ferme en ferme du matériel et une équipe de vétérinaires agréés, permettant l’abattage, la découpe et la mise en conservation sur place. En Allemagne, certains agriculteurs peuvent utiliser des "caissons", des sortes de remorques équipées pour l’abattage et permettant ensuite de transporter l’animal dans un lieu où il sera découpé et stocké.

Le hic : l'abattoir ambulant ne trouve pas, pour l’heure, l’oreille des élus. Un amendant demandant des expérimentations a été rejetée par l’Assemblée en janvier dernier, lors du vote d’une loi sur les abattoirs. En cause notamment : le coût de ces camions (2,5 millions pour les plus sophistiqués), hors budget pour la plupart des éleveurs, nécessiteraient une forte participation de l’Etat. Les camions les moins sophistiqués (jusqu’à quatre fois moins chers) ou les caissons utilisés en Allemagne nécessiterait, pour leur part, des investissements d'installation chez l’éleveur, voire de financer une armée de vétérinaires agréés pour contrôler l’abattage à la ferme.

Certains élus s’inquiètent également de la concurrence que ces camions pourraient faire aux petits abattoirs déjà existants. D’autres, enfin, ne préfèrent pas prendre le risque d’un procédé qui n’a pas encore fait ses preuves en matière d’hygiène et de traçabilité pour le consommateur. Les membres du collectif, pour leur part, entendent bien continuer leur combat. Le collectif se réunira en avril et une tribune est prévue dans la presse très prochainement. Ils guettent également le résultat des différentes expériences menées à l’étranger pour avoir de nouveaux arguments à brandir devant les élus.