"Des épisodes de harcèlement, j'en ai vécu des dizaines", témoigne Anaïs au micro d'Olivier Delacroix sur Europe 1. Après un nouveau cas, au cours duquel son harceleur "a essayé de (la) tuer", elle a décidé de lancer la plateforme "Paye ta shnek" afin de recueillir les témoignages d'autres femmes victimes de harcèlement.
"L'épisode juste avant la création du site, c'était que j'étais en voiture dans les rues de Marseille. J'étais arrêtée à un feu rouge et un homme, depuis sa voiture, m'a interpellée de façon très sexuelle. J'ai regardé droit devant moi, j'ai tâché de ne pas avoir de contact visuel avec lui. Il s'est mis à me poursuivre dès que le feu est passé au vert et il a essayé de me faire prendre un mur en voiture. Il a essayé de me tuer, quasiment.
Une poursuite en voiture, c'était la première fois [que ça m'arrivait] mais par contre, des épisodes de harcèlement, j'en ai vécu des dizaines. C'est très varié, il y a un peu tous les registres qui sont représentés. Ça peut aller du regard très, très insistant, très lubrique jusqu'à la menace de viol. J'ai déjà des hommes qui m'ont hurlé dessus qu'ils voulaient me violer, qu'ils voulaient me prendre, devant tout le monde, dans des places très fréquentées. Ça va du malaise, jusqu'à l'énorme illustration d'une volonté de domination, de l'intimidation, de la menace, etc. Dans tous les cas, ce que ça génère, c'est de la peur.
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"Paye ta shnek", l'illustration que le harcèlement est "vraiment un phénomène de société"
C'est une plateforme de témoignages donc les femmes qui subissent du harcèlement dans l'espace public peuvent témoigner anonymement des propos qui leur ont été adressés. Il y a maintenant 15.000 témoignages en six ans. Ça démontre que le harcèlement s'illustre absolument partout, dans toutes les villes, dans tous les types de quartiers, dans tous les profils d'hommes. Ça illustre vraiment la diversité de nos vécus, c'est ça qui est intéressant.
Quand on voit qu'il y a autant de témoignages et autant de femmes qui sont concernées, c'est qu'il y a énormément d'hommes qui ont des comportements de harceleurs. C'est ça qu'il faut questionner. Non, les harceleurs ne sont pas des malades, c'est vraiment Monsieur Tout le monde qui peut avoir, à un moment donné, des comportements très menaçants, voire des comportements très violents, très graves. Ce ne sont absolument pas des personnes qui sont malades, sinon il n'y en aurait pas autant. C'est vraiment un phénomène de société.
Entre drague et harcèlement, "il n'y a pas du tout de confusion possible"
[Pour différencier la drague du harcèlement], ça dépend beaucoup de comment c'est fait. Entre quelqu'un qui demande à une personne 'excusez-moi, est-ce que vous auriez deux minutes ?' et quelqu'un, comme ça m'est arrivé, me dit qu'il va 'm'éclater la chatte'... Il y en a peut-être un qui est réellement dans une volonté de séduire mais moi, ce que j'appelle le harcèlement, il n'y a pas du tout de confusion possible. Le harcèlement, c'est une volonté de domination, il n'y a pas du tout de séduction là-dedans. Celui qui a essayé de me tuer en voiture, il ne s'imaginait pas qu'on allait finir au restaurant tous les deux. C'est véritablement une volonté de domination et pas du tout de séduction.
[Le Parlement a récemment adopté un projet de loi contre les violences sexuelles et sexistes.] Moi, je trouve que c'est une loi qui va être symbolique. Etant donné l'ampleur de la situation, on ne peut pas se contenter d'un symbole. On sait qu'il y aura quand même très, très peu de flagrants délits qui seront constatés par des agents. Je pense que ça va être très symbolique et que finalement, en pratique, ça ne changera rien. Et je pense que ça va augmenter des problématiques comme le contrôle au faciès. Je ne suis absolument pas convaincue par ce projet de loi.
La solution passe par l'éducation
[Pour que les femmes se sentent plus en sécurité sur l'espace public], ce sont forcément des solutions sur le long terme. Ça ne peut pas changer en deux semaines. L'éducation, à mon sens, c'est vraiment la meilleure arme. Ces comportements-là, ils se fabriquent sous nos yeux, dès le plus jeune âge. Déjà dans les cours de récréation, le sexisme s'illustre déjà très facilement et on laisse souvent faire, voire on n'identifie pas le problème.
Pour moi, il faut vraiment que dès le plus jeune âge, on éduque à l'égalité les garçons comme les filles et que l'on arrête d'apprendre aux filles à ne pas être agressées pour apprendre aux garçons à ne pas agresser. Il faut inverser cette tendance. Ça, c'est une solution qui, évidemment, se déroulera sur le long terme. Dans l'immédiat, il y a des solutions urbanistiques notamment, qui peuvent permettre aussi au moins de créer un espace qui soit moins anxiogène pour les femmes."