La spécialiste du monde arabo-musulman met en garde contre la persistance de l'idéologie de l'EI. Et affirme que la lutte contre le terrorisme ne peut passer que par le seul volet judiciaire et sécuritaire.
Deux ans après les attentats du 13-Novembre, alors que l'État islamique (EI) est militairement défait, des questions se posent sur la menace terroriste actuelle, autant au niveau français qu'européen. Anne Giudicelli, spécialiste du monde arabo-musulman, était l'invitée de l'émission C'est arrivé Demain pour partager son analyse.
Les terroristes "refont ce qui fonctionne".La chute de l'EI ne signifie pas la fin du risque, affirme d'entrée la spécialiste. "Si l'organisation en elle-même est tombée ou est en passe d'agoniser, l'idéologie reste. On l'a vu, avant même la chute de Raqqa et de Mossoul. Les transformations, les évolutions de cette menace, différentes du profil des attentats du 13-Novembre, ont déjà commencé. On l'a vu à Nice , on l'a vu à Barcelone , on le voit sur d'autres fronts que l'Europe. La guerre, entre guillemets, n'est pas finie."
Poursuivant son raisonnement, Anne Giudicelli précise que les terroristes "refont ce qui fonctionne", c'est-à-dire des attaques avec camions et couteaux. "C'est pour cela qu'on a cette répétition, parce qu'on réagit à ça. L'onde de choc de cette action-là atteint nos démocraties, notre économie, puisqu'on renforce le plan sécuritaire." En outre "même si une attaque du type 13-Novembre ne pouvait plus se produire, de toute façon, les objectifs de cette idéologie pourront être réalisés d'une autre façon", résume-t-elle.
"Il peut se passer encore beaucoup de choses". Vendredi, le procureur de Paris François Molins a indiqué que l'enquête sur les attentats d'il y a deux ans ne serait pas bouclée avant le printemps 2019. "Il faut espérer avoir une vision complète de cet attentat pour savoir comment on en est arrivé là sur le plan du renseignement, comment n'a-t-on pas pu détecter ces individus ? Et d'autre part, comment se fait-il que des Européens frappent d'autres Européens ? Ces deux questions sont au cœur de la lutte contre le terrorisme." Si ces leçons ne sont pas tirées, la spécialiste ne voit pas la situation s'améliorer, au risque même d'empirer. Anne Giudicelli met néanmoins en garde sur la longue attente des résultats de cette enquête. "Il peut se passer encore beaucoup de choses. Il ne faut pas avoir une attente trop importante sur le résultat de l'enquête comme sur les procès. On a eu le procès Merah mais on va en avoir d'autres. Certains, qui ont été emprisonnés, vont sortir", rappelle-t-elle.
Quant au retour des djihadistes après la chute de l'EI, il n'y a pas de réponse idéale, poursuit la spécialiste. "Globalement, il faut les mettre en prison, c'est ce que les autorités ont décidé de faire. On a compris qu'il fallait personnaliser l'approche de la réinsertion. On parle de déradicalisation, désembrigadement. On ne trouve même pas les mots. C'est surtout pour les enfants qu'il y a consensus pour dire qu'il faut les prendre en charge."
"Inflation judiciaire". De manière plus générale, Anne Giudicelli déplore que la réponse apportée ne soit que de l'ordre sécuritaire et judiciaire. "On a eu treize lois antiterroristes en quinze ans et huit en cinq ans. On a une inflation judiciaire donnée comme réponse prioritaire. Ça ne suffit pas. Ce qui est nouveau quand même depuis 2015, c'est qu'on se demande pourquoi ce sont nos propres enfants qui nous tuent. C'est une avancée dans l'approche sociétale de ce phénomène très complexe qui ne peut pas se satisfaire d'une seule réponse sécuritaire." La spécialiste met aussi en avant l'importance de la coopération diplomatique. "Il faut avoir une exigence avec nos partenaires, avoir un vrai dialogue avec nos amis arabes et musulmans. Le président Macron est plutôt dans cette dynamique ."