Après cinq suicides cet été, le malaise s'installe chez les infirmiers

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Les réactions se multiplient depuis les drames qui ont endeuillé la profession cet été. Les syndicats en appellent à l'Etat. 

Cinq infirmier(e)s se sont donnés la mort en France, depuis le mois de juin, provoquant la stupeur au sein de la profession. Stupeur qui se transforme parfois en colère, certaines organisations syndicales dénonçant aujourd'hui le silence de Marisol Touraine sur le malaise qui frappe la profession. La ministre de la Santé, "profondément attristée" par ces drames, promet des mesures "à l'automne".

Cinq suicides en un été. Le 13 juin dernier à Toulouse, un infirmier de 55 ans se donnait la mort sur son lieu de Travail, au CHU de Toulouse, entraînant l'ouverture d'enquêtes médico-judiciaire, administrative et interne. Dans un communiqué, la CGT locale "déclare qu'il aurait mal vécu ses conditions de travail dans un contexte de restructuration", apprend-on sur France 3. Le 24 juin au Havre, une infirmière diplômée d'Etat, en poste depuis une vingtaine d'années dans l'établissement, se suicidait également à son domicile. Dans une lettre écrite à son mari et relayée par France 3, elle évoque des conditions de travail en dégradation constante.

Le 30 juin, un infirmier de Saint-Calais, dans la Sarthe, se donnait aussi la mort juste après avoir suivi une formation pour devenir cadre de Santé. "Il voulait continuer à exercer en Ehpad, alors qu'on lui proposait un service qui connaît de très fortes difficultés, celui des soins de suite longue durée", résume Philippe Kéravec, secrétaire du syndicat CGT au Mans, cité par le site Infirmier.com. Selon une lettre qu'assure s'être procuré le syndicat, il aurait directement mis en cause la direction de son établissement. Les 23 juillet et 13 août, enfin, ce sont deux infirmières du service médical Interprofessionnel de la Région de Reims (SMIRR) qui se suicident à leur tour. "L'une des deux infirmières était revenue depuis peu de temps d'un arrêt de travail de plusieurs mois, après avoir dénoncé le harcèlement dont elle était victime", lit-on sur le Parisien.

" Combien de morts faut-il pour briser le silence? "

Les syndicats déplorent le silence de la ministre… En réactions à ces drames, certaines organisations professionnelles n'ont pas tardé à prendre la parole, pointant le manque de moyens et l'absence de dispositif d'écoute psychologique dans le secteur, notamment en milieu hospitalier. Certains syndicats déplorent également l'absence de réaction de la ministre, qui n'a, pour l'heure, fait aucune communication officielle au niveau national sur le sujet. "Malheureusement, nous avons moins de considération que les vitres cassées de l'hôpital Necker. Cinq personnes se sont suicidées et pas un mot", tacle ainsi Thierry Amouroux, secrétaire général du Syndicat National des Professionnels Infirmiers (SNPI), invité du Magazine de la Santé, mercredi, sur France 5.

"Aucune mesure concrète n’est appliquée à ce jour pour prévenir toutes les violences faites aux agents sur leur lieu de travail et pour lutter contre le harcèlement moral", regrette également la CGT Santé, premier syndicat à l'hôpital, dans un communiqué en réaction aux suicides. "Le gouvernement se contente de proclamer des principes sans mettre en oeuvre des actions fermes et concrètes ! Les mots ne suffisent plus. Il faut aujourd’hui combattre l’impunité", renchérit le syndicat.

"Le mutisme de la ministre des Affaires sociales et de la Santé devient indécent", s'indigne également Karim Mameri, secrétaire général de l'Ordre national des infirmiers (ONI), interrogé le même jour par Infirmier.com. "Combien de morts faut-il pour briser le silence ? Quel 'quota' de décès chez le personnel soignant faut-il pour que les pouvoirs publics s'intéressent enfin au malaise des soignants ? Au même titre qu'en sécurité routière, faut-il atteindre un certain nombre de victimes pour qu'une barrière de sécurité soit installée dans un virage dangereux ?", renchérit Nathalie Depoire, présidente de la Coordination nationale des infirmiers (CNI), sur le site de l'organisation. Dans une lettre ouverte envoyée à la ministre, le syndicat dénonce une "non-assistance à personnels en danger".

" Je n'ai jamais travaillé dans des conditions si misérables "

… Les professionnels crient leur détresse. Sur les réseaux sociaux, également, plusieurs infirmiers anonymes témoignent de leur désarroi du moment. "On nous demande de faire preuve d'empathie (avec toujours moins de moyens tant matériels qu'humains) et, en retour, nous sommes traités avec la pire des cruautés !", se désole Patrick sur la page Facebook d'Infirmier.com, se demandant : "madame la Ministre, que faut-il pour capter votre attention ?" "J'ai 25 ans de métier et jamais je n'ai travaillé dans des conditions aussi misérables et dangereuses, tant pour le patient que pour le soignant", renchérit Valérie.

"Avant je rentrais le cœur gros de toutes les tristes histoires que je pouvais voir à l'hôpital. Désormais je dois ajouter à cela la fatigue qui s'accumule car la situation ne cesse de s'empirer, la peur de faire une erreur et d'être renvoyé en formation par ma hiérarchie, la colère de voir que cela n'intéresse personne", témoigne encore Bruno, sur la page Facebook "Tu sais que tu es infirmier quand".

" La ministre a bien évidemment été profondément attristée "

La ministre promet des mesures. Du côté du ministère, on rejette en bloc les accusations de "mutisme". "La ministre a bien évidemment été profondément attristée d'apprendre ces décès, et elle a d’ailleurs exprimé son soutien aux communautés hospitalières concernées", rétorque-t-on dans l'entourage de Marisol Touraine, contacté par Europe 1. "Il  y a les paroles, mais il y a aussi et surtout les actes ! Elle a donc tenu à ce que tout soit entrepris pour mieux comprendre les raisons de ces actes, car tout suicide est évidemment une situation particulière, complexe et multifactorielle. Les investigations sont aujourd'hui en cours", poursuit-on au ministère de la Santé.

La ministre rejette également les accusations générales d'inactions en matière de prévention des risques. "La ministre tient à rappeler l’ampleur du travail accompli depuis 2012 pour faire progresser la culture de prévention des risques psychosociaux à l’hôpital : mise en place d'une action de formation prioritaire pour les établissements, lancement d'appel à projets nationaux, d'une grande enquête auprès du personnel , ainsi qu’en ville par le biais du dispositif Développement professionnel continu (DPC, les détails ici)". Marisol Touraine fera par ailleurs des annonces à l'automne, après une enquête de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) en milieu hospitalier. 

Les infirmières sont les premières victimes de violence. Hasard du calendrier, un rapport de l’Observatoire national des violences en santé (ONVS) publié lundi fait état d'une hausse des violences en milieux hospitaliers. Ainsi, en 2014, l'année étudiée dans ce rapport, 337 établissements avaient signalé 14.502 cas de violences verbales ou physiques, contre 12.432 cas un an plus tôt. Les infirmièr(e)s arrivent en tête des violences subies, représentant 46% du personnel concerné.