"La DGSI n'était pas au top sur les Kouachi. Leur documentation n'était pas à jour". En 2015, un policier chargé de la traque des tueurs de Charlie Hebdo confiait à Mediapart les faiblesses de la surveillance de la DGSI sur les frères Kouachi, responsables de la tuerie de Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015, où 12 personnes sont mortes. La justice avait obtenu la levée du secret défense de 41 notes du contre-terrorisme concernant la surveillance des deux terroristes mais selon le site, les documents les plus importants ne figurent pas dans le lot déclassifié.
Le stratagème des frères Kouachi. Les 41 notes dévoilées à la justice révèlent que Saïd et Cherif Kouachi étaient surveillés en 2012 et 2013. Difficile, selon Mediapart, d'être précis car les documents déclassifiés sont délestés des éléments les plus sensibles. Ils révèlent toutefois plusieurs brèches dans la surveillance de la DGSI, qui assiste ainsi "aux premières loges" à l'évolution de Cherif Kouachi dans la mouvance islamiste des Buttes-Chaumont, dans les années 2000.
En 2011, les services américains transmettent aux Français une note les informant que Saïd Kouachi, son frère, s'est envolé pour le sultanat d'Oman. Il s'agit en réalité de Cherif Kouachi qui, de Oman, rallie le Yémen et les camps d'entraînements d'AQPA (Al-Qaïda dans la péninsule arabique) en empruntant le passeport de son frère pour contourner son contrôle judiciaire.
Entretenant la confusion sur leurs identités, les frères Kouachi vont induire en erreur les services français et américains. En septembre 2011, les Américains signalent des échanges dans un cybercafé de Gennevilliers avec Peter Chérif, un ancien des Buttes-Chaumont ayant combattu en Irak. Le premier réflexe des Français est de se concentrer sur Saïd qui, selon une vieille note de la DGSI, a vécu dans la ville des Hauts-de-Seine. "Qu'importe", écrit Mediapart, "que Saïd vive depuis deux ans à Reims". Qu'importe, aussi, que le cybercafé soit situé dans la rue où vit depuis trois ans son petit frère Chérif.
Saïd et Chérif Kouachi, fichés S. En un an, 18 notes sont consacrées à Cherif Kouachi, qui concentre désormais toute l'attention du contre-terrorisme et une fiche S est émise à son sujet. Son aîné devient également, en 2011, fiché S.
Mediapart suppose que "trois" taupes sont placées dans l'entourage de Chérif Kouachi, qui fait aussi l'objet d'une surveillance physique. Mis sur écoute en 2012, les surveillances concernant Saïd Kouachi révèlent que l'homme "sort rarement de son domicile", "joue aux jeux-vidéos en ligne avec son frère" et "consulte des sites Internet". Elles sont stoppées en 2013.
Surveillances ponctuelles. Dans son enquête, Mediapart relève trois événements marquants de la surveillance des frères entre 2010 et 2015. Le voyage en 2011 de "Saïd Kouachi" - en réalité Chérif - à Oman pour rallier le Yémen. Un projet d'attentat, en 2013, impliquant Peter Cherif, membre d'AQPA, l'homme des échanges du cybercafé. Enfin, la confirmation par la femme d'un djihadiste, issu lui aussi des Buttes-Chaumont, qu'un frère Kouachi avait suivi un stage commando au Yemen et avait été missionné par AQPA pour commettre un attentat en France.
Sur les 41 notes déclassifiées, trois sont rédigées après l'audition de la femme. Dans deux notes, postérieures à Charlie Hebdo, la DGSI explique que "des surveillances physiques étaient réalisées au domicile de Reims mais ne permettaient pas d'observer l'intéressé". Mediapart révèle que les notes délivrées à la justice ne mentionnent pas "ces surveillances ponctuelles".
La transparence en question. Dans son enquête, Mediapart note "le relatif effort de transparence" des services de renseignements avec la déclassification de ces 41 notes alors qu'au moment de l'affaire Merah, seulement 24 avaient été dévoilées. Mais certains éléments des documents sont supprimés pour protéger les "procédures et méthodes de travail [des] services" faisant allusion, selon Mediapart, à des censures du ministère de l'Intérieur en plus de celles prévues par la commission. Pour l'heure, la justice ignore toujours certains actes d'enquêtes de la DGSI, après la révélation de certains éléments contenus dans les 41 notes.
Un manque de transparence qui, pour le site, "laisse planer le doute sur ce savaient réellement les services de renseignement" sur les frères Kouachi. Des services qui, en sous-effectif, avaient davantage concentré leurs efforts sur la vague de départs de Français vers la Syrie, alors en pleine expansion.