Va-t-on vers le placement sous statut de témoin assisté d’un suspect de complicité dans l’attentat de Nice ? 86 personnes avaient été tuées par un homme au volant d’un camion lancé à pleine vitesse sur la Promenade des Anglais, le 14 juillet 2016. Mais celui qui a été présenté comme le complice et même le mentor du terroriste pourrait en fait n’avoir aucun lien avec le drame. La Chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris doit se prononcer ce vendredi 19 avril. Europe 1 a pu consulter les éléments du dossier.
"Un discours d'ouverture et d'empathie qui paraît authentique". Il était soupçonné d’être tout à la fois l’amant et le mentor du terroriste, mais Chokri C. est en fait décrit par l’administration pénitentiaire comme "vulnérable" et "isolé". Les nombreux professionnels qui ont évalué ce fils d’agriculteur tunisien âgé de 39 ans durant son passage de quatre mois au sein du Quartier d’évaluation de la radicalisation de la maison d’arrêt du Val d’Oise écartent même toute radicalisation. "Il présente un discours d’ouverture et d’empathie qui parait authentique", écrivent-ils. "L’intéressé est peu enclin au prosélytisme religieux et à la violence idéologique". Il a par ailleurs "tendance à accueillir l’autre comme un sauveur lorsqu’il est en difficulté".
Mis en examen pour participation à une association de malfaiteurs terroriste criminelle et complicité d’assassinats en bande organisée, l’homme au casier judiciaire vierge a toujours nié les faits qui lui étaient reprochés. Il admet connaître Mohamed Lahoueaij Bouhlel, l'auteur de l'attaque meurtrière, rencontré dans un café apprécié de la communauté tunisienne à Nice, mais répète depuis son incarcération le 21 juillet 2016 qu’il n’avait pas connaissance de son projet terroriste.
Erreur de traduction. Une faute de traduction durant l’enquête a conduit à le penser amant du terroriste. Et si de nombreux échanges SMS ont été relevés entre les deux hommes, il ressort de l’étude de la téléphonie que plus de 90% du flux émane du terroriste, dont certains affichent des suites de lettres et de caractères totalement incohérents.
Un SMS avait notamment attiré l’attention des enquêteurs. Chokri y écrivait à Mohamed Lahouaeij Bouhlel en avril 2016 : "Charge le camion de 2.000 tonnes de fer et nique, coupe-lui les freins mon ami et moi je regarde". Possible incitation au passage à l’acte, d’après les enquêteurs. "Seule l'évocation d'un 'camion' permet en réalité, et avec rétrospection, de rattacher ce message, envoyé dans le cadre d'une conversation relative au travail de Monsieur Lahouaiej Bouhlel, à l'acte commis par ce dernier", rétorque l’avocate de Chokri C. qui y voit un SMS "dramatiquement prémonitoire mais pour autant, nullement infractionnel". Et de rappeler, à l’unisson de tous les psychiatres et éducateurs qui se sont entretenus avec lui, que le Tunisien reste traumatisé par la mort, à l’adolescence, d’un de ses amis écrasé sous ses yeux par un bus.
Aucune pratique religieuse. L’homme, illettré, qui n’a aucune pratique religieuse et se définit comme musulman "culturel", a par ailleurs fait part de son incompréhension devant les actes commis par le terroriste, se disant "très touché".
Autre élément à charge : la présence de son ADN dans le camion. Chokri C. reconnaît être monté à bord, une fois, deux jours avant l’attentat à la demande du terroriste. Les juges estiment qu’il a pu participer à du repérage. Mais la vidéosurveillance atteste qu’il n’y est pas resté plus de quatre minutes, entre 20h31'38 et 20h36'12.
Les connaissances du terroriste impliquées à leur insu? Enfin, l’avocate du suspect mais aussi plusieurs sources contactées par Europe 1, y compris au sein des magistrats spécialisés, s’interrogent sur la personnalité "hautement pathologique" du terroriste de la Promenade des Anglais. "Bipolaire ou schizophrène qui ne prenait plus son traitement", ultra violent et d’une grande perversité d’après plusieurs de ses proches interrogés par les enquêteurs, il aurait pu s’organiser pour mouiller ses connaissances à leur insu dans son projet mortifère.
Même certaines des parties civiles estiment que sa mise en examen n’a plus de sens. Dans un mémoire consulté par Europe 1, l'un des avocats de plusieurs victimes écrit que "les parties civiles n’ont aucun intérêt à ce qu’une personne contre laquelle il n’existe aucun indice grave ou concordant reste mise en examen, de sorte que la mise en examen de Monsieur C. est injustifiée à ce stade de la procédure".