Une adolescente a-t-elle été "manipulée" par son compagnon, converti à l'islam ? Un père de deux enfants, radicalisé, a-t-il fait figure de "mentor" pour le jeune couple, qui projetait de se marier religieusement ? Ou a-t-il apporté un simple "soutien" à deux individus décidés à organiser une action terroriste ? De nombreuses questions demeurent, quatre jours après l'interpellation, à Clapiers, près de Montpellier, de quatre personnes - un homme a été relâché depuis -, soupçonnées de préparer un attentat. Mais les enquêteurs ont déjà reconstitué une partie du parcours des trois suspects, qui ont été mis en examen mardi.
Une rencontre en ligne. Thomas, 20 ans, et Sarah, 16 ans, se sont rencontrés sur les réseaux sociaux. Lui avait été assigné à résidence chez son père, dans les Ardennes, de décembre 2015 à 2016, après une tentative de départ avortée vers la zone irako-syrienne. "Il nous avait raconté qu'il s'était fait arrêter à l'aéroport, qu'il était fiché S", raconte Rodrigue, qui faisait partie de son cercle d'amis avant sa radicalisation. "J'ai cru que c'était une passade, que l'arrestation, ça l'avait calmé. Mais après, il a commencé à être dans son coin, à ne plus voir personne." Sans emploi, Thomas était en conflit avec sa famille.
Après une longue relation virtuelle, le jeune homme a pris la direction de Montpellier, dans l'intention de s'installer chez sa petite amie. Mais l'avocat de la mère de Sarah, Thomas de la Morlais, précise que sa cliente a refusé de l'héberger. "Il a alors logé dans la cave de l'immeuble", puis dans l'appartement de Clapiers, prêté par une connaissance. Pour Me de la Morlais, "Sarah, qui était scolarisée et voulait poursuivre des études de couture, a été manipulée par son compagnon et par d'autres". Interrogée par Europe 1, la mère de la jeune fille a tenu le même discours : "Je tiens à dire que ma fille est innocente des accusations qu'on lui porte. Il nous a tous manipulés. Il s'est introduit dans notre vie, dans sa vie."
Une vidéo d'allégeance à Daech. Deux jours avant son interpellation, Sarah a pourtant enregistré une vidéo d'allégeance au groupe État islamique (EI). C'est aussi elle qui est entrée en contact, via Internet, avec le troisième suspect, Malik, un père de deux enfants en instance de divorce. Condamné par la justice à six reprises, notamment pour trafic de stupéfiants et vol avec violences, l'homme de 33 ans avait été repéré par les services de renseignement pour sa radicalisation sur les réseaux sociaux, où il a posté depuis 2015 plusieurs messages faisant l'apologie du terrorisme.
Malik a rencontré le couple à plusieurs reprises et est soupçonné, au minimum, de lui avoir apporté un "soutien" dans l'élaboration de son projet terroriste. Dans l'appartement de Clapiers, vendredi, les enquêteurs ont découvert 71 grammes de TATP, un explosif artisanal très instable. La veille, Thomas et Sarah avaient été repérés en train d'acheter de l'acétone et de l'eau oxygénée, entrant dans la composition de cette substance. Depuis plusieurs semaines, le couple était identifié et suivi en raison de son activisme sur les réseaux sociaux, notamment sur la messagerie cryptée Telegram, prisée des djihadistes.
Ces achats, ainsi que la vidéo d'allégeance - bien qu'aucun élément ne montre, à ce stade, que le projet ait été téléguidé -, font penser aux enquêteurs que les trois suspects ont été arrêtés juste à temps. "Il y avait bien un acte terroriste imminent qui se préparait" et "sur lequel nous essayons de faire toute la lumière", a souligné lundi le ministre de l'Intérieur Bruno Le Roux. L'exploitation du matériel informatique et téléphonique saisi lors des perquisitions suggèrent des cibles potentielles, dont la Tour Eiffel. En garde à vue, Sarah et Thomas ont reconnu qu'ils avaient l'intention de se séparer après le mariage : lui devait mourir en kamikaze, et elle se rendre en Syrie, où elle imaginait être prise en charge en tant que veuve de martyr. Malik devait lui fournir un passeport.