Hasard du calendrier, le rendez-vous s'annonçait haut en couleurs. Au cœur de l'attention médiatique à cause des costumes qu'il a admis avoir offert à François Fillon, l'avocat Robert Bourgi, pilier controversé de la Françafrique, était attendu face à Carlos, devant la cour d'assises spéciale, mardi : en 1974, lui et son épouse se trouvaient dans un café du Drugstore Saint-Germain au moment où une grenade y a été lancée, faisant deux morts et des dizaines de blessés. Mais près d'une heure après l'horaire de convocation du couple, seule Catherine Bourgi s'est discrètement présentée devant le tribunal, excusant son époux, malade.
" Il ne voulait pas polluer les débats "
"Pas le procès du vol d'une poule". "Il a une bronchite sévère, avec un long traitement d'antibiotiques", a justifié, à la barre, l'épouse de l'avocat. Lu par le président, le certificat médical, daté du 10 mars, fait état d'une "immobilisation" devant durer 15 jours. "Je pensais que pour cette audience, il serait en état de se déplacer", tente Catherine Bourgi. Avant de reconnaître : "De toute façon, il ne serait pas venu. Aujourd'hui, il se trouve dans un battage médiatique qui touche la campagne présidentielle." Évoquant une nécessaire "sérénité" et la "meute de journalistes" présents, la petite femme de 67 ans poursuit : "Ce n'est pas le procès du vol d'une poule ou d'une baguette de pain. Il ne voulait pas polluer les débats".
"Il répond aux journalistes au téléphone, il est dans la déconne, on ne peut pas accepter cela. Je souhaite qu'il soit là, qu'on puisse l'interroger. Il vient par tous les moyens !" s'indigne Me Isabelle Coutant-Peyre, l'avocate de Carlos. Après avoir obtenu l'assurance que son mari ne serait questionné que sur les faits de 1974 - "je n'ai pas l'intention de lui poser des questions sur quelqu'un qui, à l'époque, n'était pas en âge de porter des costumes", s'amuse le président - Catherine Bourgi estime qu'il "fera l'effort de venir" avant la fin du procès, à condition de pouvoir se rendre au tribunal "en toute discrétion". "On va organiser cela, selon ces modalités", conclut le président.
" Je n'ai pas eu le temps de finir ma phrase et la grenade a explosé "
Seule témoin oculaire en vie. Le sujet évacué, la cour passe au fond de l'affaire. Doudoune blanche, sac à main violet posé à ses pieds, Catherine Bourgi est la seule témoin oculaire de l'attentat du Drugstore à être encore en vie. Mais 43 ans après les faits, l'avocate de profession ne se souvient plus très bien. "La serveuse m'a versé un café et à ce moment-là, j'ai vu un homme qui a fait le geste de jeter quelque chose", explique-t-elle à la barre. "Je ne sais pas pourquoi, j'ai cru que c'était une tasse de café. J'ai dit à la serveuse : 'il est fou celui-là, il me jette son café'. Je n'ai pas eu le temps de finir ma phrase, et la grenade a explosé."
Dans le box, l'accusé s'éponge le front. Le président lit la déposition signée par la témoin en 1974, dans laquelle elle dit avoir "vu un homme courir entre les tables". "Evidemment, toute la scène était fraîche dans ma tête à l'époque. Je n'ai plus les mêmes souvenirs, c'est sûr", marmonne la sexagénaire. En 1998, à nouveau entendue par les enquêteurs, elle a reconnu Carlos comme étant l'auteur du "geste" qu'elle avait surpris, sur trois photos. "Je suis sûre qu'il s'agit de l'homme qui a jeté l'explosif dans la galerie marchande", a-t-elle déclaré aux enquêteurs. "Les traits me semblaient correspondre aux photos qu'on m'a présentées", nuance-t-elle aujourd'hui. "Mais je n'aurais pas eu l'imprudence de faire de telles affirmations si je n'étais pas sûre de moi."
Insuffisant pour l'avocate de Carlos, qui souligne que la témoin a pu être influencée par des photos du terroriste diffusées dans les journaux avant qu'on lui demande d'identifier l'auteur de l'attentat du Drugstore. "Il y a trop d'incohérences dans votre discours. Et vous êtes toute seule ! Tous les autres sont morts !" Accrochée à la barre, Catherine Bourgi se défend comme elle peut. "Non", elle ne sait pas si l'objet qu'elle a vu était une grenade. La "célébrité" de Carlos ne l'a "absolument pas" influencée. "De toute façon, personne ne peut vous contredire", soupire Me Coutant-Peyre. Et surtout pas Robert Bourgi, qui sera convoqué à une date non communiquée à la presse. "Lui n'a rien vu", rappelle son épouse. "Il était de dos."