"La confrontation risque d'être difficile", prédisait il y a un mois l'avocat de Latifa Ibn Ziaten, la mère du premier soldat tué par Mohamed Merah. Cinq semaines plus tard, le déroulé du procès du frère du "tueur au scooter" lui a donné raison. Devant la cour d'assises spécialement composée, il a été beaucoup question du terroriste, un peu de son frère Abdelkader, complice présumé, et presque pas de Fettah Malki, co-accusé pour avoir fourni une arme et un gilet pare-balles. C'est pourtant ces deux hommes, contre qui ont été requis respectivement la perpétuité et 20 ans de prison, qui seront fixés sur leur sort, jeudi soir, au terme d'un procès électrique et teinté d'émotion.
"Le chagrin des victimes et l'opinion publique". De l'aveu même du défenseur d'Abdelkader Merah, Eric Dupond-Moretti, "à l'heure du jugement, les risques de dérive sont multiples, mais essentiellement de deux ordres : le chagrin des victimes et l'opinion publique." Cinq semaines durant, la peine des parties civiles a en effet saisi la salle Voltaire. Chaque matin ou presque, Latifa Ibn Ziaten et ses fils, Samuel Sandler, père et grand-père de trois des victimes de l'école juive Ozar Hatorah, Alhem et Radia Legouad, soeurs de l'un des militaires abattus devant leur caserne de Montauban, et de nombreux autres ont pris place sur les bancs qui leur étaient réservés.
Entendus par la cour, ils l'ont bouleversée en narrant la violence de la mort et la douleur de l'absence. "Comment exécuter un enfant avec une tétine à la bouche ? C'est le mal absolu", s'est étranglé Samuel Sandler, qualifiant Abdelkader Merah de "petit Eichmann des quartiers". "Ma vie est devenue un combat de chaque jour", a de son côté raconté l'ancien parachutiste Loïc Liber, seul survivant des tueries et aujourd'hui lourdement handicapé et "sans aucun doute quant à la culpabilité des deux accusés".
"Bande d'assassins !". Ces familles endeuillées se sont aussi heurtées à celle de Mohamed et Abdelkader Merah et notamment leur mère, Zoulikha Aziri, gratifiée d'insultes à chacun de ses deux passages dans la salle. Une réflexion d'Eric Dupond-Moretti - "c'est aussi la mère d'un mort" - a causé l'un des nombreux incidents qui ont émaillé l'audience, extrêmement tendue. "Vous n'avez pas honte ? Vous êtes de la merde, voilà ce que vous êtes", a explosé l'un des frères d'Imad Ibn Ziaten avant de quitter la salle aux cris de "bande d'assassins !".
À cette émotion, les avocats de la défense ont tenté d'opposer l'exigence de la preuve, martelant que rien n'étayait les accusations d'associations de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. L'avant-dernier jour du procès a notamment été l'occasion pour Archibald Celeyron, l'un des avocats d'Abdelkader Merah, de relever dans sa plaidoirie que son client n'avait jamais touché le scooter qu'il est accusé d'avoir volé "en réunion". "Un point que l'avocate générale s'est bien gardé de souligner", a-t-il soufflé.
82 questions pour des magistrats professionnels. Pour Me Dupond-Moretti, "si Abdelkader Merah est jugé, c'est parce que son frère est mort et si Mohamed Merah avait été vivant, il aurait été seul dans le box". Son appel à la cour - "aurez-vous la même exigence de preuve dans ce dossier que dans un autre ? Vous avez le droit de penser, mais vous n'avez rien" - suffira-t-il à passer outre la symbolique du premier procès de la série d'attentats qui ont frappé la France depuis 2012 ? La réponse sera connue lorsque le président et les quatre magistrats professionnels qui l'assistent, comme c'est le cas en matière de terrorisme, auront répondu aux 82 questions de l'acte d'accusation.
Quel qu'il soit, le verdict ne pourra satisfaire tous les partisans d'un procès "deux en un" : celui de deux comparses présumés, qui ne méritait probablement pas cinq semaines de débats, et celui d'un absent, Mohamed Merah, dont la personnalité et les actes ont été décortiqués par de nombreux témoins, satisfaisant l'immense attente des parties civiles. Décision attendue jeudi soir.