La Commission européenne et l'Allemagne ont annoncé samedi avoir trouvé un accord pour débloquer un texte clé du plan climat de l'Union européenne sur les émissions de CO2 des voitures, en assouplissant l'interdiction des moteurs thermiques après 2035. Berlin avait stupéfié ses partenaires européens début mars en bloquant au dernier moment un règlement prévoyant de réduire à zéro les émissions de CO2 des véhicules neufs, imposant de fait les motorisations 100% électriques à partir du milieu de la prochaine décennie. Ce texte avait déjà fait l'objet en octobre d'un accord entre Etats membres et négociateurs du Parlement européen, avec le feu vert de l'Allemagne, et avait été approuvé mi-février par les eurodéputés réunis en plénière.
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Des véhicules aux carburants de synthèse
Pour justifier sa volte-face, rarissime à ce stade de la procédure, l'Allemagne avait réclamé de la Commission qu'elle présente une proposition ouvrant la voie aux véhicules fonctionnant aux carburants de synthèse. Cette technologie, encore en développement, consisterait à produire du carburant à partir de CO2 issu des activités industrielles. Défendue par des constructeurs haut de gamme allemands et italiens, elle permettrait de prolonger l'utilisation de moteurs thermiques après 2035.
La Commission négociait ces dernières semaines les modalités d'une sortie de crise avec Berlin qui réclamait un engagement plus ferme sur les carburants de synthèse, certes déjà évoqués dans le texte initial mais dans un considérant jugé juridiquement trop peu contraignant. "Nous avons trouvé un accord avec l'Allemagne sur l'utilisation future des carburants de synthèse", a annoncé samedi le commissaire européen à l'Environnement Frans Timmermans sur Twitter. La présidence suédoise du Conseil de l'UE a aussitôt indiqué que le règlement sur les émissions de CO2 des voitures serait soumis aux ambassadeurs des 27 pays membres lundi à Bruxelles afin que la législation soit définitivement adoptée lors d'une réunion des ministres de l'Energie mardi.
Une technologie contestée par les ONG environnementales
"Les véhicules équipés d'un moteur à combustion pourront être immatriculés après 2035 s'ils utilisent exclusivement des carburants neutres en termes d'émissions de CO2", s'est réjoui le ministre allemand des Transports Volker Wissing. La technologie des carburants de synthèse est cependant contestée par les ONG environnementales qui la jugent coûteuse, énergivore et polluante. "Grosse colère! La Commission se couche donc devant l'Allemagne!", a protesté l'eurodéputée écologiste Karima Delli, appelant le Parlement européen à empêcher le feu vert aux carburants de synthèse.
Le blocage de Berlin était une initiative des libéraux du FDP, troisième parti de la coalition au pouvoir derrière les sociaux-démocrates (SPD) et les Verts. Ce petit parti, crédité d'environ 5% des intentions de vote dans les sondages nationaux, a perdu cinq élections régionales consécutives. Il espère s'affirmer en se posant en défenseur de l'automobile, pariant sur l'hostilité d'une grande partie de la population à l'interdiction des moteurs thermiques. Pour assurer l'unité de sa coalition, le chancelier social-démocrate Olaf Scholz avait préféré s'aligner sur cette demande et les Verts ont laissé faire.
"Le texte est inchangé"
Finalement, "le texte est inchangé. La règle des 100% de voitures zéro émissions en 2035 est donc maintenue", a réagi le président de la Commission Environnement du Parlement Européen Pascal Canfin (Renew, Libéraux), assurant qu'il serait vigilant sur le respect de la "neutralité climat" des moteurs thermiques qui seront autorisés. L'industrie a déjà massivement investi dans les véhicules électriques. Même s'ils font leur preuve, les carburants de synthèse, qui n'existent pas aujourd'hui, "ne joueront pas de rôle important à moyen terme dans le segment des voitures particulières", a déclaré Markus Duesmann, patron d'Audi (groupe Volkswagen). En raison de leur coût, ils n'auront de sens que pour quelques voitures de luxe "comme des Porsche 911 ou des Ferrari", souligne Ferdinand Dudenhöffer, expert du Center Automotive Research en Allemagne, qui ne voit "pas de changement important" pour la transition verte.
Mais, selon lui, la mauvaise gestion du dossier par "la Commission européenne a nourri de nouveaux doutes" dans l'opinion et a créé des "incertitudes pour l'investissement". "C'est mauvais pour l'industrie automobile européenne, car les Chinois et les Américains vont creuser l'écart dans le véhicule électrique", assure-t-il. L'affaire a aussi affecté l'image de l'Allemagne à Bruxelles et porté atteinte à la crédibilité des institutions, estiment de nombreux observateurs. "Un Etat membre menace de provoquer une crise constitutionnelle de l'UE (non-respect du résultat d'une procédure législative) et n'obtient rien de substantiel en retour, un vrai désastre", a dénoncé l'eurodéputé social-démocrate allemand René Repasi.