Près de deux semaines après l'ouverture du procès des tueries de Toulouse et Montauban, la Cour d'assises spécialement composée, compétente en matière de terrorisme, vivait l'une de ses journées les plus importantes, vendredi. Soupçonné d'avoir aidé son frère Mohamed dans la préparation de ses crimes, Abdelkader Merah devait, pour la première fois, être entendu sur le fond des faits. "Je vous rassure, nous ne sommes pas pressés par le temps : deux autres journées peuvent être consacrées à cette audition", a d'emblée prévenu le président, en début d'après-midi. Cinq heures plus tard, l'interrogatoire s'est pourtant définitivement terminé sur un sentiment d'inachevé, laissant les parties civiles sans beaucoup plus de réponses.
"Mon petit frère, c'était un perfectionniste". 6 mars 2012. Cinq jours avant le premier meurtre de Mohamed Merah. Son aîné Abdelkader et lui sont réconciliés depuis "quelques semaines". Une énième dispute les a séparés l'automne précédent. "Mon petit frère, c'était un perfectionniste, un caractère très difficile, qui voulait toujours avoir raison", souffle l'accusé, cheveux et barbe longs. Il reconnaît pourtant avoir joué pour lui un "rôle de modèle, sur le plan de la délinquance". Et précise : "pas pour l'islam. Simplement, j'ai essayé, avec le peu de sagesse que j'avais, de l'éduquer."
" Il me parle de son souhait d'acheter une veste de moto "
Ce jour-là, tous deux traînent "au quartier", devant un bureau de tabac. "Il me parle de son souhait d'acheter une veste de moto, je lui dis que je connais un magasin spécialisé", se souvient l'aîné. Il propose de l'emmener en voiture avec un copain de la cité des Izards, Walid Larbi-Bey - assassiné depuis. Ce dernier monte devant avec Abdelkader. Mohamed s'installe derrière. "On roule, on roule", raconte le seul survivant de cette scène. "On se dirige vers la boutique."
"Je deviens otage de ces faits-là". "Tout à coup, mon petit frère me dit 'arrête-toi !', alors je m'arrête sur la gauche", poursuit Abdelkader Merah. "Je m'arrête, il descend, je discute quelques minutes avec monsieur Larbi. Et là, je vois mon petit frère passer sur la gauche, sans casque ni rien, à fond, sur un TMAX (un scooter, ndlr)." Comprend-il immédiatement qu'il l'a volé ? "Oui. Je décide de faire demi-tour au rond-point, pour ne pas être complice du vol. Et puis monsieur Larbi me dit qu'il faut peut-être pas le laisser, au cas où un justicier le poursuive et vienne se venger. Alors je décide de le suivre. Et je deviens otage de ces faits-là."
Le scooter avait été laissé sans surveillance quelques minutes par son propriétaire, clés sur le contact. Pour le voler, Mohamed Merah n'a commis aucune violence. Mais Abdelkader, garé un peu plus loin, n'a pas assisté à la scène et l'ignore. "Et s'il y avait une victime, quelque part ?", interroge un avocat des parties civiles. "J'ai d'abord pensé à mon petit frère", reconnaît l'accusé.
"Une certaine adrénaline". Le scooter suivi de la voiture s'arrêtent sur le parking d'une résidence. Mohamed Merah remonte dans le véhicule de son frère, dans un "silence de plomb". "En tant que musulman, un vol, c'est un moment très désagréable pour moi", assure l'accusé. Seul Walid Larbi-Bey pose des questions pendant le trajet. "Il lui a répondu qu'une occasion comme ça, ça ne se présentait pas deux fois", se rappelle Abdelkader. "En même temps, les gens de la bourgeoisie ne peuvent pas comprendre ça, mais dans les quartiers, il y a une certaine adrénaline…"
" Il vole un scooter devant moi, c'est pas pour aller à l'ANPE "
Tous trois prennent malgré tout la direction du magasin. "Larbi et moi, on l'a en travers. Mais la vie, elle continue de tourner." Dans les rayons, Mohamed Merah essaie des blousons. Une vendeuse se souvient qu'il est à la recherche d'un modèle "discret". Son frère le conseille, "vite fait", puis paie le vêtement en espèces. "Comme j'étais un client régulier, j'étais inscrit dans l'ordinateur", avance-t-il. Et de répondre au président qui s'étonne de ce cadeau, quelques minutes après le vol : "Notre monde, il est différent du vôtre. Certaines personnes seraient descendues de la voiture pour appeler le 17 directement. Mais dans nos têtes, le vol du scooter, il est à droite, et l'achat du blouson il est à gauche."
"Je me doutais bien qu'il allait faire des conneries". "Vous ne vous êtes posé aucune question sur l'utilité de ce TMAX ?", demande le président. "Je me doutais bien qu'il allait faire des conneries avec", reconnaît Abdelkader Merah, d'une plus petite voix. "Il vole un scooter devant moi, c'est pas pour aller à l'ANPE." Les questions s'enchaînent, les réponses tombent souvent à côté. Comment était Mohamed Merah pendant sa "préparation criminelle" ? "Plutôt joyeux". Les deux hommes se voyaient-ils souvent ? "De manière aléatoire". Pourquoi plusieurs témoins affirment-ils avoir vu les deux frères ensemble avant leur "réconciliation" ? "Il y a des gens qui aiment être sous le feu des projecteurs, cette affaire est ultra médiatisée."
" Je ne sais pas si devant la justice, il faut dire la vérité "
Les avocats ne lâchent pas le morceau et reprennent chaque détail, donnant à l'assistance l'impression d'un serpent qui se mord la queue. Le scooter, le blouson, l'islam et surtout les versions changeantes d'Abdelkader Merah, qui a dans un premier temps omis de déclarer aux enquêteurs qu'il avait assisté au vol. "Parce que je ne sais pas si devant la justice, il faut dire la vérité ou pas." Un conseil des parties civiles saisit la balle au bond : "Est-ce à dire que la vérité vous charge ?" L'accusé hoche la tête : "Ben oui, regardez où je suis."
Dans la grande salle des assises, beaucoup lèvent les yeux au ciel face à un accusé peu collaboratif, qu'aucun témoin n'est plus là pour contredire. Face, surtout, à l'absence criante du "vrai" coupable, abattu par le Raid en 2012. Interrogé par l'avocate générale, le grand frère enfonce le clou. "Je voudrais rappeler que je ne suis pas Mohamed Merah. Je vois bien, depuis le début, qu'on essaie de me sauter dessus. Quand on voit cet acharnement, on dirait que je suis mon petit frère."